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être mesurée que par ceux qui sont capables de la vaincre. Permis à nos Cotins de traduire Bavius, parce que les productions de Bavius, si nous les avions se trouveroient au niveau de leur génie. Mais les siècles qui ont suivi les beaux jours d'Athènes et de Rome, n'ont guère conservé que ce qu'il y avait de plus précieux; et nécessairement il faut entre l'auteur et le traducteur, une certaine proportion de mérite.

Par ce principe, qui paraîtra solide, je rends justice à M. le président Bouhier; mais je me condamne visiblement. Ai-je bien pu, sans une témérité inexcusable, essayer de rendre Cicéron et Démosthène? Je n'ai rien à dire pour ma défense, si ce n'est que j'ai été traducteur comme on est poète; parce qu'il faut céder à un ascendant secret, qui ne nous permet pas de fuir le danger, même en nous le faisant voir. Une très-vive admiration pour quelques-uns des

anciens, s'empara de moi dès l'enfance; aussitôt elle devint l'ame de mes études : c'est elle qui a disposé de mon loisir; je lui dois toutes les délices que je puis avoir goûtées dans le cours de ma vie ; comment me serais-je défié des piéges qu'elle me tendait? Une admiration si constante vient à bout d'inspirer des entreprises trop hardies ; et quelquefois, je l'avoue, elle a le pouvoir de les faciliter. Oui, j'ai quelquefois éprouvé qu'elle savait produire dans l'esprit du traducteur une sorte d'ivresse, qui, sans avoir le mérite de l'enthousiasme, ne laisse pas d'en tenir lieu.

Pour revenir donc aux Tusculanes, puisqu'aujourd'hui nous les donnons toutes les cinq, il est nécessaire d'en marquer ici la liaison. Car, quoique détachées, et prises chacune à part, ce soient autant de questions indépendantes les unes des autres, il n'en est pas moins vrai

que les cinq ensemble forment un corps des mieux construits. Unité dans le dessein, justesse dans la division, variété dans les matières ; voilà, si je ne me trompe, tout ce qui peut concourir à la perfection d'un ouvrage, quand au fond et j'ai peine à croire qu'il y ait dans les écrits, ou anciens, ou modernes quelque autre plan mieux imaginé, plus régulier, que celui des Tusculanes.

Quel a été le but de Cicéron? C'est de faire bien comprendre à l'homme, qu'il ne tient qu'à lui d'être heureux. Un sentiment confus et aveugle se soulève d'abord contre cette proposition. Mais quelle obligation n'aurai-je pas à un auteur qui pourra réussir à m'en convaincre ? Je veux être heureux; toutes mes vues, tous mes désirs se portent là : cet instinct, à chaque instant de ma vie, me parle; je puis renoncer à tout, excepté à l'envie d'être heu

reux : cependant je ne le suis point: dois-je m'en prendre à la nature, ou à moi ?

Pour me décider là-dessus, il faut que je rentre en moi-même, et que j'examine au vrai ce que je suis. Hélas! que suis-je ? Un animal destiné à mourir tôt ou tard. Avant que d'arriver à ce dernier terme, je puis, et à tout moment, me voir aux prises avec la douleur. Je puis, et à tout moment, recevoir des sujets d'affliction. J'ai dans mon cœur le poison le plus funeste, une source intarissable de passions. Mais en même temps, pour combattre les divers ennemis de mon repos, j'ai une raison qui m'éclaire sur ce qui est bien, ou mal; qui me fait sentir que je suis né pour aimer, et pour pratiquer le bien; qui, par rapport aux maux dont je me plains, corrige l'erreur de mes sens; et qui, enfin, si je suis docile a ses lois, me répond de ma félicité. Voilà ce qu'embrassent nos cinq

Tusculanes. Dans la première, Cicéron se propose de nous rassurer contre les frayeurs de la mort. Dans la seconde, il nous enseigne par quels motifs nous devons patiemment supporter les douleurs corporelles. Dans la troisième, comment on peut se mettre au-dessus des évènemens capables de nous affliger. Dans la quatrième, qu'il nous faut vaincre nos passions. Et dans la cinquième, que pour être parfaitement heureux, nous n'avons qu'à être vertueux, c'est-àdire, raisonnables.

A l'égard de la première, comme les opinions sur la nature de l'ame étaient fort différentes, et assez peu débrouillées parmi les anciens, on voit que Cicéron, après les avoir exposées toutes en détail, penche absolument pour celle de Phérécyde et de Platon, qui tenaient l'immortalité de l'ame. Dans les quatre autres Tusculanes, il donne presque toujours la préférence aux Stoïciens. Un

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