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Que d'activité, que de prudence au siége de Tarente! Je fus témoin de la réponse qu'il fit à Salinator qui, après avoir laissé prendre la ville, et s'être réfugié dans la citadelle, vantoit encore ses services: Vous me devez, disoit-il, d'avoir repris Tarente: Oui, répliqua Fabius en riant; car si vous ne l'aviez laissé prendre, jamais je ne l'aurois reprise. Dans son second consulat quoique abandonné de son collègue Sp. Carvilius, 'il résista vigoureusement aux tribuns C. Carvilius et C. Flaminius, qui, au mépris de l'autorité du sénat, procédoient au partage égal du territoire de la Gaule et de Pise, Lors même

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qu'il étoit (1) augure, il eut le courage de dire que les auspices étoient toujours favorables aux entreprises salutaires à l'état, et jamais aux entreprises contraires.

J'ai connu dans ce grand personnage plusieurs qualités héroïques; mais rien de plus admirable que sa constance à la mort de son fils, qui étoit déjà homme illustre et consulaire. Son oraison funèbre est entre les mains de tout le monde et quand on la lit, quel est le philosophe qui ne paroisse méprisable? Fabius n'étoit pas seulement grand dans les actions d'éclat, il l'étoit encore plus dans son domestique. Quelle conversation! quelles leçons! quelle connoissance de l'antiquité! quelle science du droit des augures! avec cela beaucoup de littérature, au moins pour (2) un Romain. Il n'oublioit rien nos guerres, celles des autres nations, tout lui étoit présent. J'étois avide de ses discours, comme si j'eusse pressenti, ce qui est arrivé, qu'après sa mort je n'aurois personne qui pût m'instruire.

(2) C'étoit encore un siècle d'ignorance pour les Romains: il Y avoit très-peu de livres latins, et très-pen d'hommes qui connussent la littérature des Grecs.

Felices in senectute Plato, Isocrates, Gorgias et Ennius.

. EST etiam quieté, et purè et eleganter açtæ ætatis placida ac lenis senectus, qualem accepimus Platonis, qui uno et octogesimo anno scribens mortuus est: qualem Isocratis, qui eum librum, qui Panathenaicus inscribitur, quarto et nonagesimo anno scripsisse dicitur, vixitque quinquennium postea: cujus magister, Leontinus Gorgias, centum et septem complevit annos, neque umquam in suo studio atque opere cessavit: qui, quum ex eo quæreretur, cur tam diu vellet esse in vita, Nihil habeo, inquit, quod accusem senectutem. Præclarum responsum, et docto homine dignum.

Sua enim vitia insipientes, et suam culpam in senectutem conferunt; quod non faciebat is, cujus modò mentionem feci, Ennius,

Sicut fortis equus, spatio qui sæpe supremo
Vicit Olympia, nunc senio confectu' quiescit.

Equi fortis et victoris senectuti comparat suam; quem quidem probè meminisse potestis. Anno enim undevicesimo post ejus mortem, hi consules, T. Flaminius, et M. Acilius facti sunt: ille autem Cæpione, et Philippo iterum consule, mortuus est: quum ego quidem v et Lx annos natus, legem Voconiam voce magnâ, et bonis lateribus suasissem. Annos LXX natus (tot enim vixit Ennius) ita ferebat duo, quæ.

Heureuse vieillesse de Platon, d'Isocrate, de Gorgias et d'Ennius.

UNE vie tranquille, honorable et pure, est de même terminée par une vieillesse heureuse et douce. Telle fut celle de Platon qui mourut à l'âge de quatre-vingt-un ans, tenant encore la plume en main: telle fut la vieillesse d'Isocrate, qui, à quatre-vingt-quatorze ans, composa son Panathénaïque, et qui vécut encore cinq ans. Son maître, Gorgias de Léonce, vécut cent sept ans, sans jamais abandonner ses occupations ordinaires. Quelqu'un lui ayant demandé pourquoi il vouloit vivre si long-temps: C'est, dit-il, parce que je n'ai aucun reproche à faire à ma vieillesse. Belle réponse, et bien digne d'un sage!

Les esprits faux rejettent sur la vieillesse leurs propres torts. Ennius, dont je viens de parler, ne pensoit pas ainsi :

Tel un noble coursier

Qui jeune triomphoit dans les champs d'Olympie,
Et toujours à la borne arrivoit le premier,
Coule dans le repos les restes de sa vie.

Il compare sa vieillesse à celle d'un coursier vigoureux et souvent vainqueur. Vous pouvez vous souvenir de l'avoir vu: car T. Flaminius et M. Acilius qui sont aujourd'hui consuls, sont entrés en charge dix-neuf ans après sa mort qui arriva sous le second consulat de Cépion et de Philippe, J'avois alors soixante-cinq ans, et j'eus encore assez de force et assez bonne poitrine pour faire passer la loi Voconia. A voir Ennius à l'âge de soixante-dix ans, ce fut le

maxima putantur onera, paupertatem et senec

tutem, ut eis penè delectari videretur.

Validus et vehemens Appius Claudius.

AD Appii Claudii senectutem accedebat etiam, ut cæcus esset: tamen is, quum sententia senatûs inclinaret ad pacem, et fœdus faciendum cum Pyrrho, non dubitavit dicere illa, quæ versibus persecutus est Ennius:

Quò vobis mentes, rectæ quæ stare solebant
Antehac, dementes sese flexere viai?

Cæteraque gravissimè; notum enim vobis carmen est; et tamen ipsius Appii exstat oratio. Atque hanc ille egit septem et decem annos post alterum consulatum, quum inter duos consulatus anni decem interfluxissent, censorque ante consulatum superiorem fuisset. Ex quo intelligitur, Pyrrhi bello grandem sanè fuisse; et tamen sic à patribus accepimus.

Memoria ingeniumque Sophoclis.

MANENT ingenia senibus, modò permaneat studium et industria; nec ea solùm in claris et honoratis viris, sed in vita etiam privata et quieta. Sophocles ad summam senectutem tragoedias fecit: quod propter studium, quum rem familiarem negligere videretur, à filiis in judicium vocatus est: ut quemadmodum nostro more malè rem gerentibus patribus bonis interdici solet; sic illum, quasi desipientem, à re fa-.

terme de sa vie, supporter la vieillesse et la pauvreté, ces deux fardeaux qu'on trouve si pesans, on eût dit qu'elles avoient pour lui des charmes.

Forces et véhémence d'Appius Claudius.

APPIUS Claudius étoit vieux, et de plus aveugle; cependant lorsque le sénat inclinoit à faire la paix et à conclure un traité avec Pyrrhus, il ne manqua pas de forces pour dire ces belles paroles qu'Ennius a mises en vers:

Sagesse du sénat, qu'êtes-vous devenue?
Quelle fatalité vous égaré aujourd'hui ?

Le reste est de la même force, et cette pièce vous est connue. D'ailleurs le discours d'Appius (1) existe en original. Il le prononça dixsept ans après son second consulat, qu'un intervalle de dix ans séparoit du premier, avant lequel il avoit été censeur. D'où il s'ensuit qu'il étoit fort vieux, lorsque Pyrrhus nous faisoit la guerre: cependant c'est un fait attesté par nos ancêtres.

Mémoire et génie de Sophocle.

LE génie ne s'éteint point dans les vieillards, quand ils persistent dans le travail. Ceci est vrai non seulement des hommes d'état, mais encore des simples citoyens. Sophocle composa des tragédies jusqu'à la plus extrême vieillesse : ses enfans croyant que ses affaires en souffroient, se pourvurent en justice, demandant qu'il fût interdit, pour cause d'incapacité, comme il se

(1) C'est celui qui fit faire la voie Appienne.

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