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guerre ne tarda pas à éclater entre les deux villes rivales. Tullus Hostilius, troisième roi de Rome, et Métius Suffétius, chef des Albains, se trouvèrent bientôt en présence. Sur la demande de celui-ci, on convint de remettre la décision de la querelle entre les mains de trois combattants de chaque nation, avec cette clause que celui des deux peuples dont les champions seraient victorieux commanderait à l'autre. Il y avait alors trois frères jumeaux dans chaque armée, les Horaces chez les Romains, et les Curiaces chez les Albains. C'est sur eux que tomba le choix de chaque parti.

Sommaire: Voyez l'analyse de Rollin, à la suite de la narration.

Forte in duobus tum exercitibus erant trigemini fratres, nec ætate nec viribus dispares. Horatios Curiatiosque fuisse, satis constat; nec ferme res antiqua alia est nobilior: tamen in re tam clara nominum error (1) manet; utrius populi Horatii, utrius Curiatii fuerint, auctores utroque trahunt: plures tamen invenio qui Romanos Horatios vocent. Hos ut sequar, inclinat animus. Cum trigeminis agunt reges, ut pro sua quisque patria dimicent ferro: ibi imperium fore, unde (2) victoria fuerit. Nihil recusatur: tempus et locus convenit. Priusquam dimicarent, foedus ictum inter Romanos et Albanos est his legibus, ut, cujusque populi cives eo certamine vicissent, is alteri populo cum bona pace imperitaret.

Foedere icto, trigemini, sicut convenerat, arma capiunt. Quum sui utrosque adhortarentur: «deos << patrios, patriam ac parentes, quidquid civium << domi, quidquid in exercitu sit, illorum tunc << arma, illorum intueri manus; » feroces et suopte ingenio, et pleni adhortantium vocibus, in medium inter duas acies procedunt. Consederant utrimque pro castris duo exercitus, periculi magis præsentis quam curæ expertes: quippe imperium agebatur, in tam paucorum virtute at

III. 1. Error, indécision, de Sécénius Albanus. incertitude. Denys d'Hali- 2. Unde, pour a qua parte, carnasse raconte que leurs du côté où. mères étaient sœurs, filles

que fortuna positum. Itaque ergo erecti suspensique in minime gratum spectaculum animo intenduntur. Datur signum; infestisque armis, velut acies, terni juvenes, magnorum exercituum animos gerentes, concurrunt: nec his nec illis periculum suum, publicum (3) imperium servitiumque obversatur animo, futuraque ea deinde patriæ fortuna, quam ipsi fecissent.

Ut primo statim concursu increpuere arma, micantesque fulsere gladii, horror ingens spectantes perstringit: et neutro inclinata spe, torpebat vox spiritusque. Consertis deinde manibus, quum jam non motus tantum corporum, agitatioque anceps telorum armorumque, sed vulnera quoque et sanguis spectaculo essent; duo Romani, super alium alius, vulneratis tribus Albanis, expirantes corruerunt.

Ad quorum casum quum conclamasset gaudio Albanus exercitus, Romanas legiones jam spes tota, nondum tamen cura deseruerat, exanimes vice unius, quem tres Curiatii circumsteterant. Forte is integer fuit, ut universis solus nequaquam par, sic adversus singulos ferox. Ergo, ut segregaret pugnam eorum, capessit fugam, ita ratus secuturos, ut quemque vulnere affectum corpus sineret. Jam aliquantum spatii ex eo loco ubi pugnatum est, aufugerat, quum respiciens videt magnis intervallis sequentes; unum haud procul ab sese abesse. In eum magno impetu rediit; et dum Albanus exercitus inclamat Curiatiis, ut opem ferant fratri, jam Horatius cæso hoste victor secundam pugnam petebat. Tunc clamore, qualis ex insperato faventium solet, Romani adjuvant militem suum: et ille defungi prœlio festinat. Prius itaque quam alter, qui nec procul aberat, consequi posset, et alterum Curia

3. Publicum, pour sed publicum. L'intonation de la Voix doit suppléer, en réci

tant, à l'absence de la particule adversative.

tium conficit. Jamque æquato Marte singuli supererant, sed nec spe, nec viribus pares. Alterum intactum ferro corpus et geminata victoria ferocem in certamen tertium dabat: alter fessum vulnere, fessum cursu trahens corpus, victusque fratrum ante se strage, victori objicitur hosti; nec illud prælium fuit. Romanus exsultans: Duos, inquit, fratrum Manibus dedi; tertium, causæ belli hujusce, ut Romanus Albano imperet, dabo Male sustinenti arma gladium superne jugulo defigit: jacentem spoliat. Romani ovantes ac gratulantes Horatium accipiunt; eo majore cum gaudio, quo prope metum res fuerat. Ad sepulturam inde suorum nequaquam paribus animis vertuntur, quippe imperio alteri aucti, alteri ditionis alienæ facti. Sepulcra exstant quo quisque loco cecidit duo Romana uno loco, propius Albam; tria Albana Romam versus, sed distantia locis, ut et pugnatum est. (I, 24, 25.)

ANALYSE DE CE RÉCIT PAR ROLLIN

La description de ce combat, dit Rollin, est, sans contestation, un des plus beaux endroits de Tite-Live, et des plus propres à apprendre aux jeunes gens comment il faut embellir un récit par des pensées naturelles et ingénieuses. Pour en bien connaître l'art et la délicatesse, il ne faut que la réduire à un récit tout simple, en n'omettant aucune des circonstances essentielles, mais en les dépouillant de tout ornement. J'en marquerai les différentes parties par différents chiffres, pour les mieux distinguer, et pour les pouvoir ensuite plus facilement comparer avec la narra. tion méme de Tite-Live:

(1) Foedere icto, trigemini, sicut convenerat, arma capiunt (2) Statim in medium inter duas acies procedunt. (3) Consederant utrimque pro castris duo exercitus, in hoc spectaculum totis animis intenti. (4) Datur signum, infestisque armis cerni uvenes concurrunt. (5) Quum aliquamdiu inter se æquis virious pugnassent, duo Romani, super alium alius, vulneratis tribus AIDanis, expirantes corruerunt. Illi superstitem Romanum circumsistunt. (6) Forte is integer fuit. Ergo, ut segregaret pugnam eorum, capessit fugam, ita ratus secuturos, ut quemque vuinere affectum corpus sineret. (7) Jam aliquantum spatii ex eo loco uoi pugnatum est, aufugerat, quum respiciens videt magnis intervallis sequentes; unum haud procul ab sese abesse. In eum magno mpetu redit, eumque interficit. (8) Mox properat ad secundum eumque pariter

neci dat. (9) Jam æquato Marte singuli supererant, numero pares, sed longe viribus diversi. (10) Romanus exsultans: «Duos, inquit, fratrum Manibus dedi: tertium, causæ belli hujusce, ut Romanus Albano imperet, dabo. » Tum gladium superne illius jugulo defigit: jacentem spoliat. (11) Romani ovantes ac gratulantes Horatium accipiunt. (12) Inde ex utraque parte suos sepeliunt.

Il s'agit d'étendre ce récit, et de l'enrichir de pensées et d'images qui intéressent et qui frappent vivement le lecteur, et lui rendent cette action si présente, qu'il s'imagine non la lire, mais la voir de ses propres yeux, en quoi consiste la principale force de l'éloquence. Il ne faut pour cela que consulter la nature, en bien étudier les mouvements, examiner attentivement ce qui a dû se passer dans le cœur des Horaces, des Curiaces, des Romains, des Albains, et peindre chaque circonstance avec des couleurs si vives, mais si naturelles, qu'on s'imagine assister à ce combat. C'est ce que Tite-Live fait d'une manière merveilleuse.

1. Il était naturel que chaque parti exhortât les siens, et leur représentât que la patrie entière était attentive à leur combat. Cette pensée est fort belle, mais le devient bien plus par la manière dont elle est tournée. Une exhortation plus longue serait froide et languissante.

2. En lisant les derniers mots, on croit voir ces généreux combattants s'avancer au milieu avec une noble intrépidité.

3. Rien ne convenait mieux que cette pensée, « periculi magis præsentis quam cura expertes;» et Tite-Live en apporte aussitôt la raison. Quelle image ces deux mots : erecti suspensique, » peignent à l'esprit !

4. On ne peut rien ajouter à la noble idée qu'ils nous donnent des combattants. Ces trois frères étaient de part et d'autre comme des armées entières, et en avaient le courage insensibles à leur propre péril, ils ne s'occupaient que de la destinée publique confiée uniquement à leurs bras deux pensées magnifiques et puisées dans le vrai. Mais peut-on lire ce qui suit sans se sentir encore saisi d'horreur et de frissonnement, aussi bien que les spectateurs du combat? Ici les expressions sont toutes poétiques; et les jeunes gens doivent remarquer que ces expressions poétiques, dont il ne faut user que rarement et avec sobriété, étaient appelées par la grandeur du sujet, et par la nécessité d'égaler par les termes le merveilleux du spectacle.

5. Ce morne et triste silence, qui les tenait tous comme suspendus et immobiles, se changea, bientôt en cris de joie du côté des Albains, quand ils virent tomber morts deux des Horaces; de l'autre côté, les Romains demeurèrent sans espérance, mais non sans inquiétude. Alarmés et tremblants pour celui des Horaces qui restait seul contre trois, ils n'étaient plus occupés que de son péril: n'était-ce pas là la véritable position des deux armées

après la chute des deux Romains, et le tableau qu'en fait Tite-Live n'est-il pas copié d'après nature?

6. Tout semble terminé; tout à coup l'intérêt se réveille. le Romain est sans blessure, et s'il est faible contre ses trois adversaires ensemble, il est contre chacun d'eux sûr de sa force et de sa supériorité, « ferox »..

7. Quel beau développement de cette idée « interficit, » dans cette phrase qui nous montre le guerrier romain, tandis que l'armée albaine crie à ses champions de voler au secours de leur frère, ayant déjà immolé son ennemi, et courant vainqueur à un second combat!

8 Quelle beauté et quelle justesse d'expression dans ces mots : « defungi prælio festinat..... alterum conficit! »> Horace n'a presque point d'efforts à faire : « il se débarrasse, il se défait de ses ennemis; il se hâte d'en finir avec chacun d'eux. » Peut-on assez admirer ici la liaison des idées, et l'analogie parfaite de toutes les pensées et de toutes les expressions? .

9. Cette figure si brillante, « intactum ferro corpus et geminata victoria ferocem in certamen tertium dabat, » est une sorte de personnification intraduisible dans notre langue. Il semble voir la victoire, qui, déjà deux fois, a couronné Horace, le conduire elle-même à un troisième triomphe, tandis que cette répétition, a fessum vulnere, fessum cursu ce participe présent trahens, ces quatre dissyllabes qui se suivent, « fessum cursu trahens corpus,» s'harmonient merveilleusement avec la pensée, « victori objicitur hosti,» et concourent à peindre l'Albain comme une victime destinée à satisfaire le courroux de son fier ennemi.

10. Et voyez « c'est ex effet comme victime qu'il est immolé. »

11. Cette antithèse « eo majore cum gaudio, quo prope metum res fuerat, » lie la fin du récit au milieu

12. La dernière phrase, « quippe imperio alteri aucti, alteri ditionis alienæ facti,» rappelle à la fois l'origine et le résultat de la lutte, et par ce résumé simple et précis, ramène à l'unité toutes les diverses parties de la nar ration.

Je ne sais, ajoute Rollin, s'il y a rien de plus capable de former le goût des jeunes gens, que de leur proposer de pareils endroits, et de les accoutumer à en découvrir eux-mêmes toute la beauté, en les dépouillant de leurs ornements, et les réduisant, comme nous avons fait ici, à des propositions simples. On leur apprend par là comment il faut trouver des pensées et comment il les faut exprimer. Ce qui fait la principale beauté de cette narration, en particulier, aussi bien que de l'histoire en général, selon la judicieuse remarque de Cicéron, c'est la merveilleuse variété qui y règne partout, et les divers mouvements de crainte, d'inquiétude, d'espérance, de joie et de désespoir, de douleur causés par des changements subits

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