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Vous direz que cela a l'air d'une plaisanterie inhumaine; soit. Mais gardez-vous de dédaigner un ouvrage plein d'idées sublimes, qui vous détrompera, ou qui vous affermira dans votre opinion. Lisez-le pour le bel endroit où Sénèque incline la tête de Jupiter vers la terre, et attache les regards du maître de l'univers sur Régulus et sur Caton. « O Jupiter, s'écrie-t-il, voici deux ath» lètes dignes de ton admiration: un homme de courage aux » prises avec la mauvaise fortune, quoi de plus grand? Caton » debout au milieu des ruines du monde, quoi de plus beau? »

Mais, dit l'épicurien, si la vertu de Caton ne put éclater sans l'ambition de César, pourquoi créer l'un et l'autre? Accorder aux dieux la puissance d'intervertir l'ordre de la nature, c'est rendre la difficulté insoluble.... Vous aurez de la peine à me persuader que le père des Dieux et des hommes se soit plu à voir entrer Régulus dans un tonneau hérissé de pointes...... Vous avez raison; j'aimerais mieux être Socrate qu'Anyte; mais à quoi bon pour Socrate, pour Anyte et pour les Dieux, l'existence d'Anyte

et de Socrate?

C'est par

des faveurs apparentes que le ciel punit le méchant ; c'est par des revers qui vous semblent cruels et qui ne sont rien, que la Providence illustre le bon. Jupiter dit à celui-ci : De quoi te plains-tu? je t'ai fait mon égal.

Cela se peut, répond le méchant; mais moi, pourquoi m'avoir fait tel que je suis, et tel que tu savais que je serais?...... Dis, malheureux, et tel que tu voulais être.

Et, d'après cette réplique, voilà nos raisonneurs enfoncés dans les ténèbres de la liberté de l'homme et de la prescience des Dieux.

Et quel parti prend l'homme sage entre ces disputeurs? Il montre au chrétien le ciel du doigt, et excuse au fond de son cœur celui que ce spectacle ne convainct pas.

Il n'appartient qu'à l'honnête homme d'être athée. Le méchant qui nie l'existence de Dieu est juge et partie : c'est un homme qui craint, et qui sait qu'il doit craindre un vengeur à venir des mauvaises actions qu'il a commises. L'homme de bien, au contraire, qui aimerait tant à se flatter d'un rémunérateur futur de ses vertus, lutte contre son propre intérêt. L'un plaide pour lui

même, l'autre plaide contre lui. Le premier ne peut jamais être certain du vrai motif qui détermine sa façon de philosopher; l'autre ne peut douter qu'il ne soit entraîné par l'évidence dans une opinion si opposée aux espérances les plus douces et les plus flatteuses dont il pourrait se bercer.

« L'homme vertueux ne diffère des Dieux que par la durée de l'existence et l'étendue de la puissance. »

« Les Dieux ne laissent tomber la prospérité que sur les »ames abjectes et vulgaires...... » Cela n'est pas vrai. Tel homme l'infortune eût trouvé grand, mourra sans l'avoir connue.

que

« Le grand homme soupire après les traverses..... » Cela n'est pas vrai ; il ne les craint ni présentes, ni éloignées, mais il ne les appelle pas.

« Ceux que le ciel épargne sont faits pour plier sous les maux....>> Cela n'est pas vrai. On voit tous les jours plier sous les maux des hommes que le ciel n'épargne pas. Sénèque, sous un autre prince que Néron, n'en aurait pas moins été Sénèque : Sénèque, oublié dans sa retraite par le cruel Néron, n'en aurait pas été moins prêt à mourir comme il est mort. Celui qui ne s'est point montré sur la brèche n'est point un lâche. Il ne faut pas calomnier la prospérité : le bonheur n'est pas toujours un signe du mépris des Dieux.

Ce traité finit par une prosopopée de Jupiter à l'homme vertueux, elle est très-éloquente.

L. ANNEI SENECE

DE CONSOLATIONE,

AD HELVIAM MATREM,

LIBER UNUS.

ARGUMENTUM.

I. Introitus hujus consolationis apprime elegans, et prudenter et cum arte præmittitur. Exponit causam, cur non prius matrem consolatus esset, quam temporis spatio quodam præterlapso. Nunc se consurrexisse priorem, et nova consolandi ratione uti. Sperat fore ut hoc ipsum, quod tamquam infelix et exsul suos consoletur, matrem ad allocutionem suam audiendam moveat. II, III. Quum itaque tempus vim suam ad mitigandum matris dolorem exercuisset, tranquille modum, quo in dolore compescendo uti velit, declarat ; et primum mala, quæ jam passa sit mater admodum gravia, exponit. IV, V. Deinde docet, matri nullam causam esse, cur doleat lugeatve, quoniam ipse exsul nihil patiatur, propter quod vere possit dici miser; ea enim, quæ apud nos nomine secundæ adversæve fortunæ veniant, ad adventitia pertinere, ideoque et ipsum exsilium. VI, VII. Quod quum commutatione loci contineatur, facile patere ostendit in co nihil mali inesse : primum, quia hominis naturæ innata sit loci ex loco mutatio, quod et usu quotidiano et historia probat VIII. Eaque ipsa insula Corsica : deinde, quod ubicumque, vel in loco desertissimo et humillimo tugurio, quum eadem rerum natura tum virtute uti possit exsul, quod Marcelli præclaro exemplo illustrat. IX-XII. Incommoda autem, exsilium comitantia, facile tolerari posse a sapientiæ studioso, e. g. paupertatem. Ita vi oppositi, in avaritiæ ac luxuriæ, omnia subvertentis, insaniam invehitur. Animus tranquillus, pergit, his supervacuis facile carebit vel in exsilio, quid, quod pauperes feliciores ditioribus sint, et hos frequenter conditione pauperum uti oporteat : exempla antiqua. XIII. Ne tamen quis putet, singula quidem mala in exsilio satis bene sustineri posse, non item omnia, quæ simul exsuli adsint, e. g. paupertatem, ignominiam, contemtum, ille secum reputet, eum qui unum malum toleret, et omnia tolerare, sicut altera parte qui una virtute gaudeat, omnibus cæteris uti. Quæ quum ita sint, significat se haudquaquam miserum dici posse, neque adeo in sua conditione causam luctus ac mororis latere. XIV. Jam pergit ad causas ceteras, quæ inatrem ad luctum perducant, refellendas. Ac primum monet, matrem non egere sui præsidii, quod numquam a se incolumi petiverit, quum neque ambitiosa sit, neque gratiam aut potentiam filiorum unquam ostentaverit. XV. Secundo autem loco desiderium filii dilecti causam quidem luctus eximiam esse. XVI. Sed contra illud hortatur eam virtutis et fortitudinis, qua cæteras sui ævi feminas facile antecedat, similem Cornelia Gracchorum, et Rutiliæ Cottæ matris. Jam quum luctus remediis vulgaribus, c. g. ludis, peregrinationibus etc. difficillime compesci possit, suadet matri, ut animum ad liberalia studia applicet. Accedunt studia duorum

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