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séduit lord Byron, d'avoir cherché à le détacher de sa femme. Quoiqu'elle niât, de la manière la plus solennelle, qu'elle eût jamais eu avec lui aucun rapport coupable, elle n'en était pas moins flétrie par la voix du public. Elle résolut d'en appeler à ce tribunal, et, malgré les efforts de ses amis, elle prit un rôle dans une pièce de Farquhar. On annonça sur l'affiche qu'elle jouerait le soir même. La salle était pleine. On leva le rideau : elle parut. Ce fut pour elle une redoutable et terrible épreuve. A peine avait-elle dépassé l'angle de la coulisse, qu'un cri d'indignation et de vengeance retentit de toutes parts. Les loges vociféraient contr'elle; le parterre se leva tout entier. Des galeries on lui criait de se retirer, en lui prodiguant l'insulte et le mépris. On lui reprochait sans déguisement les défauts et les vices les plus honteux. Elle soutint cette attaque avec un admirable courage. Elle ne répondit aux cris qui devaient la chasser du théâtre, qu'en s'avançant jusqu'à la rampe. Sa démarche était intrépide. Elle fit signe de la main qu'elle voulait parler. Dès qu'elle put se faire entendre, elle dit : « Non, non, je ne me retirerai pas vivante sous le poids d'un opprobre que je n'ai pas mérité. Je veux, je dois être entendue. Son ton, ses manières avaient tout le calme de l'innocence; sa voix était émue, quoique ferme. C'était un spectacle imposant que celui d'une femme jeune

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et belle résistant seule à de si bruyantes clameurs, et demandant à se justifier. Son courage, sa beauté disposèrent ses juges à l'écouter. Un profond silence succéda au tumulte, et elle reprit ainsi la parole : « Je suis une femme sans protection, et j'en appelle à la justice d'un public anglais. Il n'est point dans le caractère de notre nation d'accuser, sans l'entendre, une femme qui n'a point d'appui. Je suis innocente de l'accusation portée contre moi, et, dans cette crise, j'espère que toutes les âmes nobles prendront ma

défense. >>>

Cet appel eut un effet magique et sans précédent sur l'auditoire. On applaudit avec transport, et, de ce moment, l'innocence de Mistress Mardyn fut regardée comme prouvée.

Il n'en fut pas de même de Lord Byron. Quoique les torts fussent en grande partie du côté de sa femme, on persista à le trouver seul coupable. Il n'avait jamais cherché à dissimuler ses défauts, peutêtre même les avait-il trop affichés. On en conclut qu'il en avait bien plus qu'il n'en montrait. En proie à de vifs chagrins domestiques, il se vit encore la fable de la cour et de la ville. Il en conçut une irritation si grande, qu'à peine ses amis osaient-ils l'aborder. Je tiens de quelqu'un qui l'a beaucoup connu, que cette époque de sa vie fut la plus malheureuse; il devint triste, morose, et perdit toute sa vivacité. Tandis qu'on faisait des conjectures sur le parti qu'il prendrait, il quitta l'Angleterre pour n'y plus revenir.

Ce brusque départ et la vie errante qu'il mena depuis, sont des preuves irrécusables de la douleur que lui causa cette séparation. Quoique d'abord son orgueil ne lui permît pas de faire des avances directes à lady Byron, il permit à quelques personnes d'intervenir et de chercher à les rapprocher, mais sa femme fut inflexible. Peu de temps après cette tentative, il écrivit son célèbre adieu, avec cette épigraphe :

<< Hélas! ils avaient été amis dans leur jeune âge; mais des langues perfides savent empoisonner la vérité; et la constance n'habite que dans les cieux. La vie est épineuse et la jeunesse est vaine; et se courroucer contre ce qu'on aime égare la raison.

« Ils se quittèrent pour ne plus se revoir! Mais ni l'un, ni l'autre, ne trouva un ami qui pût remplir le vide de son cœur souffrant. Ils se tinrent à l'écart, gardant

Alas! they had been friends in youth;
But whispering tongues can poison truth;
And constancy lives in realms above;
And life is thorny; and youth is vain:
And to be wroth with one we love,
Doth work like madness in the brain.

They parted ne'er to meet again!
But never either found another

leurs cicatrices, semblables au rocher entr'ouvert par une violente secousse : une mer profonde roule au milieu, mais ni la chaleur, ni la glace, ni la foudre, n'effaceront entièrement, je crois, les traces de ce qui existait jadis. >>

L'ADIEU.

<< Adieu; sois bénie! (*) et quand cet adieu devrait être éternel, je te bénis encore. Quand tu serais inexorable,

To free the hollow heart from paining-
They stood aloof, the scars remaining,
Like cliffs, which had been rent asunder;
A dreary sea now flows between,
But neither heat, nor frost, nor thunder,
Shall wholly do away, I ween,

The marks of that which once hath been.

(Coleridge's Christabel.)

FARE THEE WELL!

Fare thee well! and if for ever,
Still for ever, fare thee well :
Even though unforgiving, never
'Gainst thee shall my heart rebel.

(*) Le farewell anglais a quelque chose de plus tendre que notre adieu; il réunit des souhaits de bonheur et de santé aux regrets de la séparation: comme nous n'avons point d'équivalent en français, j'ai cherché à le traduire en y ajoutant les mots « sois bénie », que les Anglais affectionnent, et dont ils font un usage fréquent dans leurs relations d'amitié ou d'amour.

jamais mon cœur ne se révoltera contre toi. Que ne peux-tu lire dans ce cœur sur lequel si souvent tu reposas ta tête, lorsqu'un sommeil doux et tranquille s'emparait de toi; ce sommeil que tu ne retrouveras plus. Que ne peut-il s'ouvrir à tes yeux et te dévoiler ses pensées les plus intimes! Tu apprendrais alors que ce n'était pas bien de me repousser ainsi. Quoique le monde t'approuve, quoiqu'il soit disposé à sourire aux blessures que tu fais, ses louanges qui ont pour objet mes douleurs doivent t'offenser. Quoique de nombreux défauts aient terni ma vie, ne se trouvait-il pas pour me faire une plaie incurable d'autres bras que ceux qui m'enlacèrent jadis. Cependant, ne t'abuses pas toi-même; l'amour

Would that breast were bared before thee
Where thy head so oft hath lain,
While that placid sleep came o'er thee
Which thou ne'er can'st know again :
Would that breast, by thee glanced over,
Every inmost thought could show!
Then thou would'st at last discover
'Twas not well to spurn it so.
Though the world for this commend thee-
Though it smile upon the blow,
Even its praises must offend thee,
Founded on another's woe-
Though my many faults defaced me,
Could no other arm be found

Than the one which once embraced me,
To inflict a cureless wound?

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