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AVANT-PROPOS

On ne cherchera pas ici tout le commentaire historique et moral que comportent les ESSAIS. Il est relativement aisé à chacun de suppléer aux lacunes laissées à dessein, car la plupart des noms et des faits historiques évoqués par Montaigne sont généralement bien connus et les idées morales sur lesquelles s'exerce sa méditation ont fait l'objet des réflexions de bien des moralistes.

Si, pour la commodité du lecteur, j'ai donné çà et là quelques éclaircissements et informations jugés indispensables, et si j'ai repris les traductions des citations en langues étrangères, l'objet propre de mon enquête était un peu différent; j'avais avant tout à rechercher les sources des ESSAIS.

Les sources d'une œuvre aussi vivante devaient être cherchées d'abord dans la vie, et spécialement dans la vie intime de l'auteur. Il fallait donc éclaircir les allusions aux faits contemporains qui avaient stimulé sa pensée, aux choses locales; il fallait établir des rapprochements d'essai à essai qui constituent comme un commentaire de Montaigne par lui-même, et des rapprochements entre les essais et les autres témoins de la pensée de Montaigne : Journal de voyage, lettres, éphémérides, inscriptions de sa librairie, notes marginales jetées sur ses volumes.

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Mais cette œuvre vivante est en même temps l'œuvre d'un liseur infatigable dont la pensée reste tout imprégnée de ses lectures, dont la phrase roule souvent les mots mêmes de la page qui a fécondé sa réflexion. Il fallait donc surtout examiner tous ses livres, qui étaient pour Montaigne le prolongement de son expérience.

Déjà l'origine de la plupart des citations en langues étrangères et de beaucoup de faits historiques avait été indiquée par des commentateurs Mlle de Gournay, Coste, Leclère, le docteur Payen. Mais un nombre considérable d'emprunts n'avaient pas été reconnus, naturellement ceux-là surtout qu'aucun nom propre ne signalait à l'attention, et qui portent sur des idées plutôt que sur des faits. Surtout il fallait reprendre l'enquête dans un esprit nouveau : il s'agissait non pas de fournir au lecteur une référence qui lui permît de s'informer au sujet d'un fait rapporté par Montaigne, mais de retrouver le texte même dont Montaigne s'était inspiré. Il fallait, entre plusieurs sources possibles, choisir laquelle est la vraie; savoir si Montaigne l'a connue chez son auteur ou dans un ouvrage de seconde main; s'il a fait usage d'une traduction qui peut altérer le récit, et de laquelle; autant que possible de quelle édition il s'est servi et les ressources d'information qu'il y trouvait. Enfin il fallait par des citations mettre sous les yeux du lecteur les textes mêmes qui avaient passé sous les yeux de Montaigne. Car alors seulement l'étude des sources devient féconde lorsque, à un chiffre stérile qui propose un rapprochement hypothétique, se substitue un texte concret, celui-là même au contact duquel a jailli la pensée de l'auteur.

Pour cette enquête nous devions nous installer avec Montaigne dans sa tour, reconstituer sa librairie, reprendre un à un sur les rayons tous les livres que son inlassable curiosité y accumulait, et les relire avec lui, par-dessus son épaule.

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C'est dans ce même esprit que Miss Grace Norton, dans son excellent petit livre LE PLUTARQUE DE MONTAIGNE, et, sous la direction de M. Strowski, MM. Joseph de Zangroniz et Jean de la Ville de Mirmont, ont apporté à cette enquête des contributions partielles et limitées que je suis heureux de rappeler ici.

Au cours de ces longues lectures j'ai vu les ESSAIS peu peu s'éclairer d'une lumière nouvelle. Si elles ne m'avaient pas constamment fait mieux comprendre le travail de la conception chez Montaigne, et fait pénétrer plus avant dans l'intimité de sa pensée, je n'aurais pas poursuivi mon travail.

Certaines compilations du temps, celles de Messie, de Guevara, de La Primaudaye, de Jean des Caurres, etc., des collections d'adages et d'apophtegmes, présentent en abondance des faits et des idées qui se retrouvent dans les ESSAIS, et elles pouvaient prêter à de beaucoup plus nombreux rapprochements. Il suffit de le rappeler ici, afin qu'on ne perde pas de vue que, par leurs racines, les ESSAIS plongent dans un courant littéraire très à la mode, abondant autant qu'impersonnel. Mais je n'ai retenu à dessein que ceux de ces rapprochements qui étaient instructifs il importait de ne pas étouffer le texte source, quand il est connu, sous un amas de citations oiseuses.

J'ai à m'excuser du nombre important des «< addenda » qu'on trouvera sur la fin du volume. On voudra bien penser que l'impression a été commencée voici dix ans. Si je n'avais rien appris durant ces dix années, ce serait le signe qu'un jour venu je me suis désintéressé de mon enquête.

J'exprime aussi au lecteur mon regret des irrégularités que son œil pourra rencontrer dans le jeu des références et pour lesquelles j'invoque la même excuse du temps et des circonstances.

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Je voudrais pouvoir dire que je n'ai point d'autres regrets; mais personne mieux que l'auteur ne connaît dans le détail les imper

fections de son œuvre.

L'aide que m'a donnée notre compositeur M. Elies est une véritable collaboration éclairée et dévouée autant que discrète. Je le prie de trouver ici l'expression de ma vive gratitude.

20 novembre 1919.

P. VILLEY.

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