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et cette conversation avec les plus excellents esprits de tous les temps est la meilleure discipline de l'esprit et lui donne un fonds de culture qui ne saurait être remplacé par rien 1. Or l'on ne peut nier que l'œuvre de T.-Live ne soit une des plus considérables de la littérature latine; c'est donc avec raison qu'il tient une grande place dans l'enseignement de nos hautes classes. D'un autre côté, au point de vue de l'histoire de la langue latine, l'étude de T.-Live a, comme j'ai essayé de le montrer, un intérêt tout particulier. Si l'on peut dire que Cicéron et César représentent pour nous l'époque de la plus grande pureté de la prose latine, T.-Live est, avec Salluste3, le principal représentant d'une autre période, un peu moins

1. En France, on est tombé d'un excès dans l'excès contraire après avoir pendant longtemps attaché aux exercices latins écrits une importance exagérée, on a en ce moment une tendance regrettable à les négliger et à en méconnaître l'utilité. Il est vrai que, lorsqu'on étudie une langue morte, le but qu'on se propose est simplement de la savoir lire; mais on ne sait une langue, morte ou vivante, que si on est en état de l'écrire à peu près correctement, et, pour arriver à comprendre les auteurs latins, il faut s'être exercé à écrire et à penser dans leur langue.

2. Même entre Cicéron et César, il y a des différences de syntaxe notables. Mais elles me paraissent bien moins nombreuses et moins frappantes que celles qu'on remarque entre la langue de ces deux auteurs et celle de T.-Live ou de Salluste.

3. Salluste, par le temps où il a vécu, est plus près de Cicéron et de César que de T.-Live; mais il se sépare d'eux par l'originalité voulue de sa langue et il présente aussi déjà bien des particularités de syntaxe; Grysar, qui laisse à T.-Live le nom de prosateur classique, le refuse à Salluste (Theorie des lat. Stiles, 2o éd., p. 6-7). — Je n'ai point parlé, dans tout ceci, de Cornélius Népos, d'abord parce qu'il est bien moins important comme écrivain, ensuite parce que la question de l'attribution du De excellentibus ducibus exterarum gentium est encore controversée. On peut voir l'état actuel de la question dans un récent article de M. Lupus, Neue Jahrbücher, 1882, p. 379-401 (cf. son livre: Der Sprachgebrauch des Cornelius Nepos, p. v, note). L'opinion d'après laquelle le De excellentibus ducibus serait l'œuvre d'un nommé Emilius Probus, contemporain de Théodose, est absolument inadmissible et aujourd'hui, je crois, généralement abandonnée: en effet, L. Ampelius, qui vivait au 1° siècle, s'est déjà servi de cet ouvrage. D'autre part, il est même difficile d'admettre que, sous sa forme actuelle, le De excellentibus ducibus soit un abrégé postérieur d'un livre original de Cornélius Népos : car, d'un côté, il me semble que la langue de cet ouvrage est trop correcte, malgré certains tours peu classiques et certaines particularités d'origine populaire, pour que cette hypothèse puisse être acceptée; et, d'un autre côté, si l'on admet que l'ouvrage original ne formait qu'un seul livre (c'est-à-dire qu'il tenait dans un seul rouleau de papyrus), comme cela est dit dans la préface adressée à Atticus (§8), il ne pouvait avoir une étendue sensiblement plus grande que celle du De excellentibus ducibus sous sa forme actuelle, voy. Birt, Das antike Buchwesen Berlin, 1882), p. 313 et 315. Reste l'opinion, récemment émise par M. Unger, d'après laquelle le De excellentibus

parfaite déjà, mais bien curieuse à connaître, période de transition, qui n'est pas encore, à proprement parler, l'époque de la décadence, mais où l'on ne retrouve déjà plus la sévérité et la simplicité d'autrefois, et où l'on voit poindre les germes des défauts, ainsi que des qualités, de l'âge suivant.

V

La grammaire de T.-Live a donné lieu à beaucoup de petites monographies', et elle fait l'objet d'un grand ouvrage d'ensem

ducibus devrait être attribué à Jules Hygin, l'affranchi d'Auguste; mais cette hypothèse ne semble p's reposer sur des raisons bien solides, et l'étude que M. Lupus a faite de la langue du De excellentibus ducibus comparée à celle des Vies de Caton et d'Atticus, dont on ne conteste pas l'attribution, l'a amené à la conviction que l'un et l'autre ouvrage ont bien Cornélius Népos pour auteur. 1. Adrian, Ueber das lateinische participium præsentis passivi, Gross-Glogau, 1875. Baur, Aliquot translationum quæ dicuntur Livianarum genera collecta, Augsburg, 1864. Ellendt, De præp. a cum nominibus urbium junctæ apud Livium maxime usu, Königsberg, 1843. Günther, Die Formen der Hypothesis bei Livius, Bromberg, 1871. Güthling, De T. Livii oratione. Cap. I, de usu verborum simplicium, Lauban, 1867; Cap. II, quod est de participiis, Liegnitz, 1872. Hildebrand, Ueber einige Abweichungen im Sprachgebr. des Cic., Cäs. u. Liv., u. üb. den Gebr. des Inf., der Sup. u. der Conj. quominus u. quin bei diesen Schriftstellern, Dortmund, 1854. Id., Ueber diejenigen Zeitwörter, welche bei Cic., Cäs. u. Liv. mit dem blossen Abl. u. den Präp. a, de, ex verbunden werden. I. Dortmund, 1858; II. 1859. Id., Beiträge zum Sprachgebr. des Liv. u. zur Feststellung des Textes seiner Historien. I. Dortmund, 1865. Holtze, De recta eorum quæ ad syntaxin Livii pertinent dispertiendorum et ordinandorum ratione, Naumburg, 1881. Ignatius, De verborum cum præpositiouibus compositorum apud Cornelium Nepotem, T. Livium, Curtium Rufum cum dativo structura, Berlin, 1877. Kleine, De genetivi usu Liviano. I. Cleve, 1865. Krah, Specimen grammatica Liv., Insterburg, 1859. Kraut, Ueber den Stil des Livius mit besonderer Rücksicht auf die livianische Syntax (Correspondenz-Blatt für die Gelehrten u. Realschulen Württembergs, 1882, p. 291- 304). Kriebel, Der Periodenbau bei Cic. u. Liv, Prenzlau, 1873. Kreizner, De propria orationis Livianæ indole, Hadamar, 1844. Lyth, De usu præp. per apud Livium... libri secundi pars prior, Stockholm, 1882. Löwe, De præp. de usu apud Liv., Grimma, 1847. Lorenz, Beobachtungen üb. den Dat. der Bestimmung bei Liv. I. Meldorf, 1871; II. 1874. Madvig, Kleine philol. Schriften (Leipzig, 1875), p. 356-317.Mor. Müller, Zum Sprachgebr. des Liv. I. Die Negationen haud (non), haudquaquam (nequaquam), Berlin, 1877. Queck, Die Darstellung des Liv., Sondershausen, 1853. G. Richter, Beitrag zum Gebrauche des Zahlworts im Lateinischen. I. Gebrauch des Livius, Oldenburg, 1880. Schmidt, De temporum historicorum apud Liv. usu, Demmin, 1874. Stange, De discrepantia quadam inter sermonem Cic. et Liv., Frankf. a. O., 1843. Wesener, De quibusdam Liv. orationis proprietatibus, Coblenz, 1854. Id., De periodorum Liv. proprietatibus, Fulda, 1860. Wölfflin, Livianische Kritik u. Liv. Sprachgebrauch, Berlin, 1864, etc. Une partie de ces dissertations ne me

ble, après lequel il semblerait d'abord que tout travail sur le même sujet dût être superflu. C'est le livre déjà plusieurs fois cité de Kühnast: Die Hauptpunkte der livianichen Syntax, für das Bedürfniss der Schule entworfen (IV et 402 pages in-8°), Berlin, Weber, 1872. Cet ouvrage ne peut être négligé par aucun de ceux qui veulent savoir le latin à fond; on y trouve les renseignements les plus précieux, non seulement sur la langue de T.-Live, mais d'une façon générale sur la langue de l'époque classique. Néanmoins je crois que c'est un livre qui est à recommencer d'un bout à l'autre et qu'on ne saurait lire avec profit qu'à condition de le refaire tout entier au fur et à mesure. Le labeur immense qu'il a dû coûter en fait le principal mérite, et peut-être la grande réputation et l'autorité qu'il paraît avoir en Allemagne seraient-elles un peu amoindries, si tous ceux qui le citent de confiance se donnaient la peine de le contrôler de près.

Si tous les ouvrages publiés en Allemagne ressemblaient à celui de Kühnast, on aurait raison de dire ce qu'on a dit trop souvent chez nous à la légère, que les livres allemands sont lourds, indigestes, illisibles; il est difficile de rien trouver qui soit plus confus et plus mal ordonné. Les divisions générales sont bonnes; mais, d'un bout à l'autre de chaque chapitre, c'est un vrai dédale où l'on cherche en vain un fil conducteur ou des points de repère pour se reconnaître et se reposer. Assurément tout ouvrage de grammaire est composé d'une série de petits faits; mais ces faits, on les peut grouper suivant un ordre clair et facile à saisir, et, pour ce qui est de la disposition extérieure, on les peut distribuer en paragraphes nettement séparés, avec des titres qui soient au lecteur comme autant de jalons marquant la route à parcourir. C'est ainsi que la Syntaxe historique de M. Dräger est un ouvrage d'une lecture commode et facile, à cause de l'ordre et de la bonne disposition qui y règnent. Ici, rien de pareil: rien de plus fatigant pour l'œil et pour l'esprit que ces longues suites de pages toutes. pleines, presque sans alinéas, hérissées de mots latins accompagnés de chiffres, car Kühnast ne transcrit pas les passages qu'il

sont du reste connues que de nom. Il faut aussi consulter: les éditions avec commentaire de Drakenborch, de Weissenborn (Berlin, Weidmann; rééditée en partie par H. J. Müller), de Moritz Müller et de Wölfflin (Berlin, Teubner); les Emendationes Livianæ de Madvig (2e éd., Copenhague, 1877); les Emendationes et adnotationes ad T. Livium de Harant (Paris, Belin, 1880); l'édition critique des livres XXVI-Xxx de Luchs (Berlin, Weidmann, 1879); les publications de Frigell (Epilegomena ad T. Livii librum primum, Upsala, 1881; Epilegomena ad T. Livii librum vicesimum primum, Upsala, 1881); l'édition de Madvig (Copenhague, 2o éd., 1873 et suiv.), etc.

cite, il se contente d'y renvoyer d'un mot. Ceci n'est, dira-t-on, qu'une affaire de disposition typographique, et c'est, après tout, une chose secondaire; mais c'est que malheureusement le fond de l'ouvrage ne répond que trop à l'extérieur : ce ne sont que remarques arrivant pêle-mêle et s'enchevêtrant les unes dans les autres, l'auteur sautant quelquefois d'un fait grammatical aux faits grammaticaux les plus éloignés, par simple voie d'association d'idées 1.

Aussi l'ouvrage est-il assez difficile à consulter, vu l'absence d'index alphabétique; et, si on le veut lire d'une façon suivie, le style de Kühnast est fait pour décourager les plus intrépides; on en jugera par le spécimen que je cite en note ".

Si encore on n'avait que la peine de lire et de comprendre! si toutes ces petites remarques étaient vraies! si l'on pouvait se fier aux exemples qu'on trouve cités! Mais il suffit d'en vérifier un certain nombre pour se convaincre du contraire. Ou bien l'ouvrage est fait avec une légèreté ou une précipitation bien regrettable, ou bien il faut croire que l'auteur, malgré toute sa science, manque décidément de cette sorte de sens grammatical que

1. Ainsi il parlera de l'emploi des adjectifs ou des pronoms neutres comme substantifs, par exemple « quodcumque adversi inciderit »; et il ajoutera : « à ce propos l'on peut remarquer que l'emploi de quicumque sans verbe (dans le sens de n'importe lequel), 4, 39, 3 et ailleurs,... est une imitation évidente de l'emploi semblable de ósticov » (voy. p. 48). Quel rapport logique y a-t-il entre ces deux faits de grammaire, dont le premier n'a du reste absolument rien de remarquable? Il est évident qu'il n'y en a aucun, si ce n'est que le premier a remis l'autre en mémoire à l'auteur.

2. C'est une des premières phrases du premier chapitre, intitulé: Syntaxe d'accord. Il s'agit de l'emploi plus libre des adjectifs comme substantifs.« Cette liberté, qui se montre d'une façon très frappante chez T.-Live et dont Nägelsbach traite p. 79 et 80, en renvoyant à la collection d'exemples de Fabri, 22, 12, 12 (laquelle ne se rapporte qu'aux comparatifs), se rencontre, outre les mots cités par Kreizuer p. 21 et suiv., dont, il est vrai, beaucoup sont à supprimer, puisque, par exemple, captivus se trouve comme substantif aussi chez Næv., Cic., Cæs. et Nep., popularis chez Plaut., Ter., Sall., prætexta chez Cic., mais non pas probablement chez Liv., patricius et Appia aussi chez Cic., plebeius non seulement chez Liv. (10, 23, 4. 10, 8, 2. 4, 35, 9, cf. 39, 40, 3. 10, 7, 2. 7. 6, 4; le pluriel pour désigner l'ordre tout entier 6, 35, 2 joint d'une façon peu symétrique à patribus, voy. aussi 10, 8, 3. 24, 3 patriciis... plebeiis et pour patricii en tant qu'ordre encore 4, 7, 7. 43, 7. 6, 35, 4, ce qui n'empêche naturellement pas que pour ce mot comme pour d'autres le pluriel ne désigne plus souvent les personnes concrètes, comme 39, 40, 3. 5, 11, 2 et souvent ailleurs), mais déjà chez Enn. et Cicéron, encore pour d'autres mots, comme 1, 26, 4 quæcumque Romana, 2, 6, 10 Tarquiniensis (voy. Quinct., 8, 6, 20), 10, 8, 10 ingenuus », etc. (voy. p. 45 et suiv.). Une bonne partie du livre est dans le même style.

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j'ai essayé de caractériser au commencement de cette introduction et auquel l'érudition ne peut suppléer. Sans doute, dans un ouvrage aussi étendu et en même temps aussi rempli de petits faits, les erreurs sont inévitables; mais, quand elles sont trop nombreuses, le livre ne saurait plus inspirer aucune confiance et perd toute autorité. Ici l'on peut dire que, sur dix passages cités, il y en a souvent cinq qui le sont à tort et qui se rapportent à tout autre chose qu'au fait grammatical dont il est question; tout, dans ce livre, est à vérifier; rien ne saurait être accepté sans contrôle. On n'a qu'à comparer un de nos chapitres avec le passage correspondant de Kühnast pour se rendre compte des modifications considérables, du remaniement complet qu'entraîne souvent ce travail de vérification.

Quoi qu'il en soit, Kühnast a eu le mérite de rendre la tâche bien plus facile à ceux qui voudront, après lui, écrire une grammaire de T.-Live. Cette grammaire est encore à faire; mais les matériaux en ont été en grande partie amassés par Kühnast. Il ne reste plus qu'à reprendre ces matériaux un à un, à les trier, à les compléter, à les mettre en œuvre, en les assemblant dans un ordre logique et en les disposant suivant un plan régulier, que l'œil puisse embrasser. C'est là le travail que j'ai essayé de faire pour un certain nombre de questions et dont je donne ici le résultat.

L'étude de la syntaxe peut se diviser de différentes manières. L'une des plus logiques me semble être le plan suivi par M. Dräger, et, en modifiant légèrement ce plan, j'adopterais peut-être pour une syntaxe latine la division suivante: 1° Syntaxe de la proposition simple (syntaxe d'accord, syntaxe des cas, syntaxe des prépositions, sens des différentes formes du verbe, emploi des temps et des modes dans les propositions indépendantes, ellipses du verbe, particules servant à l'interrogation directe, etc.); 2° Syntaxe des propositions coordonnées (diverses formes de propositions coordonnées, particules servant à la coordination des propositions); 3° Syntaxe des propositions subordonnées (conjonctions au moyen desquelles une proposition dépendante peut se rattacher à la proposition principale, temps et modes employés dans les différentes classes de propositions subordonnées); 4° Ordre des mots; construction de la période; 5o Particularités dans l'emploi des différentes parties du discours. Cette dernière partie, qui est la première dans le livre de M. Dräger, est généralement la moins connue; dans les grammaires destinées à l'usage des classes elle tient d'ordinaire fort peu de place. Elle contient cependant plus d'une question intéressante. Ce sont

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