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CHAPITRE III.

Lost to the world by lot severe,
O, what a gem is buried here,
Nipp'd by misfortune's cruel frost,
The buds of fair affection lost.

SIR WALTER SCOTT.

MADAME STE. LUCILE était jeune et belle; sa taille, au-dessus de la moyenne, était élégante; la dignité de son port, la noblesse de sa démarche un peu lente, développaient une infinité de grâces. On était frappé de la blancheur éblouissante de son teint, dont les roses étaient entièrement effacées; mais surtout de son regard qui peignait à la fois la souffrance de l'âme et la pieuse résignation. La mélancolie de son sourire avait un charme inexprimable; la tournure de son esprit enchantait, et on n'était pas moins étonné d'une supériorité de talents, qui semblaient l'avoir destinée à briller dans une sphère plus étendue que celle d'un cloître. A peine au printemps de la vie, la tempête

avait surpris, déchiré le cœur de la jeune beauté, et à dix-huit ans, elle avait prononcé le vœu de renoncer à un monde, dont toute la gloire et tous les plaisirs ne pouvaient plus la rendre heureuse. Cependant quelques années après sa profession, une grande princesse l'avait fait nommer. abbesse de Mont-Fleuri; cette dignité lui procurait l'avantage de se livrer à son goût pour la bienfaisance; les soins de son troupeau, en rendant sa vie plus active, laissèrent moins de temps pour ses tristes souvenirs, et l'arrivée de Céline en adoucit encore l'amertume.

Je ne raconterai pas l'entrée de cette enfant au couvent, le tendre accueil de l'abbesse, de ses religieuses et des jeunes pensionnaires; ces détails offriraient peu d'intérêt ; non plus que le départ du comte de Lusigny et de madame Renaud; on s'imaginera facilement le chagrin que Céline éprouva en voyant partir sa mère, aussi bien que les caresses des religieuses qui entre prirent de la lui faire oublier, ou au de lui faire aimer le couvent.

Elle s'attacha bientôt à madame Ste. Lucile qui, de son côté, lui montra la plus tendre affection. Cette dame voulut présider elle-même à son éducation, et rien ne pouvait la désobliger autant que d'empiéter sur ses droits d'institutrice, dont elle paraissait presque jalouse.

La douceur, la complaisance qu'elle mettait à ses leçons les gravaient dans le cœur et dans la mémoire de l'élève dont la docilité, l'application et la tendresse étaient sans égales.

Dans les premières années de sa résidence à Mont-Fleuri, Céline s'aperçut que chaque fois qu'elle parlait de madame Renaud, l'abbesse paraissait souffrir; et, ne voulant point l'affliger, l'aimable enfant cessa de parler de sa mère. Toujours dans l'appartement de madame Ste. Lucile, se promenant, travaillant, ou causant avec elle, Céline, sans rien perdre des grâces ingénues de l'enfance, contractait insensiblement l'habitude de réfléchir, et acquérait cette solidité d'esprit qui semble en général n'appartenir qu'à

l'âge mûr. La beauté, les vertus et les talents de Céline se développaient dans la sainte et paisible retraite de l'innocence sous les yeux enchantés de l'abbesse, qui ne s'occupait pas moins du soin de former le cœur de son élève à l'amour de ses devoirs, qu'à cultiver son esprit :

"Heureuse, heureuse l'enfance

"Que le Seigneur instruit et prend sous sa défense!

"Tel en un secret vallon,

"Sur le bord d'une onde pure,

"Croît, à l'abri de l'aquilon,

"Un jeune lis, l'amour de la nature.

"Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux,

"Il est orné dès sa naissance;

"Et du méchant l'abord contagieux
"N'altère point son innocence.

RACINE.

P

CHAPITRE IV.

But ever and anon of griefs subdued
There comes a token, like a scorpion's sting,
Scarce seen, but with fresh bitterness imbued;
And slight withal may be the things which bring
Back on the heart the weight which it would fling
Aside for ever; it may be a sound,

A tone of music summer's eve—or spring

A flower-the wind-the ocean-which shall wound Striking the' electric chain wherewith we're darkly bound. LORD BYRon.

UN jour, que par hasard Céline se trouvait seule après avoir joué quelque temps de la harpe, elle tomba insensiblement dans une telle rêverie, qu'elle ne vit point entrer l'abbesse, qui la considérait avec autant de surprise que d'inquiétude lever les yeux au ciel et soupirer profondément.

-D'où vous vient cette vive affliction, ma chère enfant ? lui demanda-t-elle.

Céline confuse se jeta dans ses bras en rougissant, et avec embarras répondit qu'elle pensait à Maria Douglas, sa compagne et

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