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tout en ce moment, obligea Saint-Just à se relever sans obtenir de réponse. C'était M. de la Porte: il remarqua tout de suite un peu d'embarras sur la figure du jeune homme, se douta de l'entretien qui venait d'avoir lieu, et, sans affectation, parla des nouvelles du jour, de choses indifférentes, auxquelles le jeune baron répondit assez froidement, dans l'espoir que le docteur se retirerait bientôt: mais au bout de quelques minutes, madame Ste. Lucile se plaignit de sa santé, et parut vouloir consulter M. de la Porte. Alors Saint-Just se leva, et sortit en lui disant qu'il reviendrait dans la soirée chercher la lettre qu'il lui avait demandée.

Aussitôt après son départ, madame Ste. Lucile raconta à M. de la Porte ce qui venait de se passer, et lui demanda comment elle pouvait se tirer d'une situation aussi difficile.

-Avec un peu de patience, répondit le docteur. Tout va le mieux du monde. Ecrivez vîte à la mère de Céline; cela

nous fera gagner trois ou quatre mois. C'est plus qu'il ne nous faut pour trouver les moyens de vous faire passer, vous et Céline, en pays étranger. J'ai été appelé, il y a deux jours, auprès d'un homme que je connais depuis longtemps, et qui m'a quelques obligations. Comme il peut nous être très utile pour vous procurer des passeports, je l'ai sondé, et je suis sûr qu'avant une quinzaine de jours, vous pourrez quitter Passy. Mais point de remercîments maintenant; attendez que je les mérite.

Madame Ste. Lucile, ranimée par l'espoir que M. de la Porte lui faisait entrevoir, promit de se laisser entièrement guider par ses avis en conséquence elle écrivit tout de suite, sous sa dictée, à madame Renaud, et remit le soir même sa lettre ouverte à SaintJust, qui en parut très satisfait.

Quelques jours après, madame Ste. Lucile reçut un billet anonyme, dont voici le contenu:-" Défiez-vous de tout ce qui vous entoure faites en sorte de vous rendre à la terre de votre jeune parente, où l'on vous

donnera des nouvelles de votre meilleur ami.”

Céline qui entrait dans le salon au moment où l'abbesse finissait de lire ce billet, lui demanda la cause de l'étonnement, qui paraissait sur tous ses traits. Cette dernière, pour toute réponse, lui remit ce billet mystérieux. Aussitôt que Céline l'eut parcouru, elle s'écria qu'il venait certainement du comte de Lusigny, quoique l'écriture fût déguisée, et que sans doute il engageait madame Ste. Lucile à se rendre à Rosendal. -Que voulez-vous dire de Rosendal, et quelle est cette jeune parente?

-Pardonnez ma présomption, répliqua Céline en se jetant dans les bras de madame St. Lucile; je suppose que M. le comte ne s'est servi de ce mot, que pour éviter de me nommer, dans la crainte que ce billet ne se trouvât perdu, et ne nous compromît. Je ne vous ai jamais raconté tout ce qui s'est passé à ma dernière entrevue avec le comte, parce que j'ai vu que toutes les fois que nous parlions de lui vous paraissiez souffrir. D'ailleurs il m'eût fallu vous parler de mes

parents, et vous m'avez défendu de vous

interroger....

-Poursuivez, dit l'abbesse, je veux tout

savoir.

Céline lui apprit d'abord que le comte l'avait adoptée, et lui avait fait don de la petite terre de Rosendal, dont il lui avait recommandé de prendre le nom. Elle lui raconta de nouveau ce qu'elle lui avait déjà dit relativement aux papiers qui étaient cachés dans le tombeau de la comtesse : enfin elle lui rapporta les questions qu'elle avait osé faire à son bienfaiteur, sur sa famille, et la réponse qu'il lui fit, réponse cruelle qu'elle ne pourrait jamais oublier:-" Votre père est un monstre ... et votre malheureuse mère, victime de la plus odieuse perfidie...! En ce moment Robert et Babet étaient entrés le comte n'avait pu continuer. Vous seule à présent, ma chère et adorable bienfaitrice, pouvez m'apprendre le mystère que ces terribles paroles renferment.

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-Vous le saurez sous peu, mon enfant, reprit l'abbesse avec un profond soupir :

commencé à écrire cette histoire, et je vous la donnerai à lire aussitôt que ce travail sera terminé. Aujourd'hui cela m'est impossible; ce récit est long, pénible . . . . . et au-dessus de mes forces.

-Je voudrais, poursuivit-elle au bout de quelques instants, pouvoir vous mettre tout de suite en possession de la terre de Rosendal, qui n'est qu'à une lieue de Lusigny, où mon frère se tient peut-être caché; malheureusement nous ne pouvons voyager sans passe-port, et nous n'avons nul moyen de nous en procurer.

-Il faut parler de cela à M. de Saint-Just, reprit Céline d'un air préoccupé.

-A Saint-Just, ma chère enfant ? C'est la dernière personne à qui je voulusse faire une pareille confidence.

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-Et pourquoi? avez-vous quelque raison de douter de son amitié ?

-Je doute au moins de ses principes; et cela me suffit. D'ailleurs, ne voyez-vous pas qu'on me prévient de me défier de tout ce ui m'entoure.

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