Page images
PDF
EPUB

l'anachronisme, existant à côté du moyen historique de l'éluder, prouve clairement que la tradition des poètes différait de celle des historiens.

Si on demande maintenant quel était le lieu de la scène, Hérodote nous fournira la réponse. Cet historien déclare (IV, 45) qu'il serait étrange que la partie du monde appelée Europe eût tiré son nom de la femme phénicienne, qui n'alla que de Phénicie dans la Crète et de la Crète dans la Lycie. Or, elle vint en Lycie en accompagnant son fils Sarpédon, et c'est évidemment dans ce pays, son dernier séjour, que la fit paraitre l'auteur de notre fragment tragique. D'un autre côté, un drame d'Eschyle portait le titre de Kāpes ↑ Ebpóny. Il est vrai que les Cariens, voisins des Lyciens, ne se confondaient pas avec eux; mais les poètes tragiques, de même qu'ils donnaient indistinctement le nom de Phrygiens aux Troyens, aux Mysiens et aux Lydiens, étendaient l'appellation de Cariens aux peuples de la Lycie. C'est à Strabon que nous devons cet intéressant renseignement ', que M. Buecheler a fort à propos rappelé au sujet de notre fragment. Je crois qu'Eschyle aima mieux composer son choeur de Cariens que de Lyciens, parce que les Cariens étaient connus pour les chants plaintifs dont ils accompagnaient les funérailles de leurs morts. Le titre de Kapes Eρώπη doit être mis sur la même ligne que celui de Φρύγες ή Εκτορος Apx. A la fin de la pièce, quand Sommeil et Mort apportaient, d'après la tradition homérique, le cadavre de Sarpédon, le chœur des Cariens faisait entendre la plainte funèbre avec toutes les démonstrations de deuil usitées dans leur pays.

Tout en attribuant notre fragment par conjecture à Eschyle, j'ai dit qu'il pourrait aussi être d'un imitateur de ce poète. M. Kock se prononce pour cette seconde hypothèse. Aujourd'hui je crois qu'il faut s'en tenir à la première : les inductions tirées de notre fragment s'accordent, on ne peut mieux, avec le titre de la pièce d'Eschyle. On peut aussi invoquer, avec Blass, un vers de cette pièce où il est dit que Mars aime à moissonner les guerriers les plus braves 3. L'extrême simplicité du sujet, autant que nous pouvons le deviner, est un autre argument. Quels ont pu

1. Strabon, XIV, p. 665 : Οἱ ποιηταὶ δὲ μάλιστα οἱ τραγικοὶ συγχέοντες τὰ ἔθνη, καθάπερ τοὺς Τρώας καὶ τοὺς Μυσοὺς καὶ τοὺς Λυδούς Φρύγας προσαγορεύουσιν, οὕτω καὶ τοὺς Λυκίους Κάρας. Cf. ib., p. 675.

2. Voy. Platon, Lois, VII, p. 800 D, avec la scholie, qui se retrouve dans Suidas et dans Photios, art. Kapix μoson. Athénée, IV, p. 174 F. Schol. Aristoph., Gren., 1302.

3. Stobée, Anthol., LI, 26 : Aloxúhov Kapŵv

̓Αλλ' "Αρης φιλεῖ

ἀεὶ τά λῷστα πάντα τἀνθρώπων στρατοῦ. Conington propose πάντ ̓ ἀπανθίζειν στρατοῦ.

Cf. plus loin, p. 152.

être les incidents de l'action? Il est difficile d'en imaginer de bien variés. Nous voyons les pressentiments de la mère. La nouvelle des succès de Sarpédon, de son combat avec Tlèpolémos, fils d'Hercule, de sa participation glorieuse à la prise du camp des Grecs, avait-elle précédé l'annonce de sa mort et l'arrivée de son cadavre? Cela n'est pas impossible, quoique, à vrai dire, ces alternatives de succès et de revers, de crainte et d'espérance, soient peu conformes à ce que nous savons d'ailleurs de la méthode rectiligne d'Eschyle. Mais, en les admettant dans ce cas, encore l'action reste-t-elle trop simple pour l'attribuer à un poète plus récent qu'Eschyle. Aristophane prétend (Nuées, 622) que les anniversaires de la mort de Memnon et de Sarpédon sont, pour les dieux, des jours de deuil et de jeûne: cette plaisanterie lui a peut-être été suggérée par le souvenir de la Psychostasie et de l'Europe d'Eschyle.

Le texte du morceau a été maltraité par un copiste égyptien au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Je désespère de découvrir un sens suivi dans les trois premiers vers; les deux derniers ont aussi résisté jusqu'ici à toute restitution plausible. Quant au reste, voici comment j'aimerais à le constituer aujourd'hui, en modifiant par-ci par-là ma première rédaction:

4 Ἵν οὖν τὰ πολλὰ κεῖνα διὰ παύρων λέγω,
γυνὴ θεῷ μιχθεῖσα παρθένου σέβας
ἤμειψα, παίδων δ ̓ ἐζύγην ξυνωνίᾳ.
Καὶ τρισὶν ἀγῶσι τοὺς γυναικείους πόνους
ἐκαρτέρησ ̓· ἄρουραν οὐκ ἐμέμψατο

τοῦ μὴ ξενεγκεῖν σπέρμα γενναίου πατρός.
10 Ἐκ τῶν μεγίστων δ' ήρξάμην φυτευμάτων
Μίνω τεκοῦσα

[ocr errors]

(Δεύτερον δ' ἐγεινάμην)
12 Ραδάμανθυν, ὅσπερ ἄφθιτος παίδων ἐμῶν·
ἀλλ' ἐκὰς ἐπ' ανας τέρμασι ζέη σφ' ἔχει,
τὸ μὴ παρὸν δὲ τέρψιν οὐκ ἔχει φίλοις.
15 Τρίτον δὲ, τοῦ νῦν φροντίσιν χειμάζεται
(κέαρ τόδ', ἐπίκουρον μολόντ' ἐς Ἴλιον,)
16 Σαρπηδόν· αἰγὶς δ ̓ ἐξ ̓́Αρεως καθίκετο.
Κλέος γὰρ ἥκειν (Ἑλλάδος) λωτίσματα
πάσης ὑπερφέροντ' ἐς ἄλκιμον σθένος·
αὐχεῖ δὲ Τρώων ἄστυ πορθήσειν βία.
20 Πρὸς οὓς δέδοικα μή τι μαργαίνων δορί
ἀνυπέρβατον δράσῃ τε καὶ πάθῃ κακόν.

Pour tout ce qui regarde les leçons du manuscrit, la constitution et l'interprétation du texte, je renvoie à mon mémoire inséré dans le dernier cahier des Monuments grecs publiés par l'Association pour l'encouragement des études grecques en France'. Les observations suivantes serviront à compléter ou à rectifier ce que j'y ai dit, et ne porteront guère que sur les endroits où je m'écarte de ma première rédaction.

V. 5. Tuvh 0e pryssa. Outre Euripide, Ion, 339, on peut comparer Homère, 17., XVI, 176: Tuvh e ebvy0sica.

V. 8. APOYPACKAIOYK ms. apcupav cx Schenkl, Esterr. Gymn. Zeitschr. 1880, p. 74, et Th. Gomperz, Wiener Studien, 1880, p. 18. Schenkl écrit yewzios natρ. Gomperz écrit tò, et prend la locution infinitive τὸ μὴ 'ξενεγκεῖν σπέρμα pour sujet de ἐμέμψατο. Je traduis: « Les fruits d'un noble père ne purent reprocher au champ (au sein) qui les avait reçus de ne pas les avoir portés jusqu'à maturité ».

V. 10. Peut-être gitupátov, avec Bergk.

V. 11. La lacune après Mivo Texsus est peut-être plus grande que je ne l'ai indiquée. Europe a dû dire, entre autres choses, que son fils aîné était mort depuis longtemps. Le supplément deútepOV δ' ἐγεινάμην est de Blass.

V. 13. AAAAKEMATAICTAICEMAICZOACEXEIN ms. J'avais écrit provisoirement ἀλλ' οὐκ ἐπ' αὐλαῖς ταῖς ἐμεῖς ζέη σφ' ἔχει. Gomperz et Kock proposent v abyxis tais suzis, ce qui est bien hardi. J'emprunte à Blass in' als tippaat; mais je ne lui accorde pas que (as e se justifie par le pluriel év tpoqaïs: (Sept. 665) : l'analogie n'est qu'apparente, et ce dernier pluriel est aussi naturel que l'autre serait étrange. Traduisons: « la vie dont il jouit le retient loin d'ici, aux confins de la terre (dans les Iles Fortunées) >.

V. 15. ΤΟΥ̓ΝΟΥΝΦΟΡΝΤΙΖΕΙΝ ms. Buecheler voulait χειμά Copa. Mais il faut admettre une lacune il était nécessaire de dire que Sarpédon est allé au secours de Troie assiégée par les Grecs.

V. 16. ΑΛΦΗΔΟΝΑΙΑΧΜΗC ms. La correction αιγίς a été suggérée à Bergk par Sept. 63 : Πριν καταιγίσαι παρὰς Αρεως.

V. 17. KAEOгAPHKEIЄNAOTICAOTICMATOC ms. Les premières lettres du vers sont peu distinctes on pourrait aussi lire KAPO. Mais la conjecture de Buecheler Kzpov ne serait admissible que si les Cariens pouvaient être considérés comme ennemis de Sarpedon. - Κλέος equivaut à φήμη ἐστίν. — Comme le même copiste confond les désinences A et OC plus haut, en transcrivant le v. 10 de la Médée d'Euripide, j'ai écrit λwtiqueta. Cf. Euripide, Hélène, 1609.

1. Voir l'analyse de ce mémoire dans la Revue des Revues de la présente année.

V. 18. ΠACH(ΥΠΕΡΠΕΡΩΝΤΕ ΑΛΧΙΜΟΥ(ΤΕΝHC ms. Quant ὁ ἐς ἄλκιμον σθένος, cf. Pers. 326 : Πρῶτος εἰς εὐψυχίαν.

V. 20. ПPOCOY ms. pès o Bergk. pès & Kock.

V. 21. ACTYПEPBAPTON ms. nip ßpotòv Bergk. Je m'en tiens à ma première correction.

HENRI WEIL.

ANTIPHON, MEURTRE D'HÉRODE, §§ 29, 5 et 49.

La narration de ce plaidoyer n'est pas facile à suivre, parce que l'orateur l'interrompt à plusieurs reprises et y mèle l'argumentation. Le lecteur attentif comprend cependant qu'Hérode et le Mytilénéen accusé du meurtre d'Hérode s'étaient embarqués à Mytilène pour nos sur un bateau sans pont. Surpris en route par un gros temps, ils s'étaient arrêtés dans un petit port du territoire de Méthymne et avaient cherché un refuge sur un bateau ponté qui s'y trouvait mouillé. On s'y mit à boire pour passer le temps: le lendemain matin Hérode avait disparu. La tempête passée, le prévenu continua son voyage sur le bateau à destination d'Enos; l'autre, le bateau ponté, se dirigea sur Mytilène, et la famille d'Hérode prétendit y trouver des traces de sang.

Or, on lit au § 29 : Ἐπειδὴ δὲ ἐγὼ μὲν φροῦδος ἦν πλέων εἰς τὴν Αἶνον, τὸ δὲ πλοῖον ἧκεν εἰς τὴν Μυτιλήνην ἐν ᾧ ἐγὼ καὶ ὁ Ἡρῴδης ἐπλέςμεν, πρῶτον μὲν εἰσβάντες εἰς τὸ πλοῖον ἠρεύνων, καὶ ἐπειδὴ τὸ αἷμα εὗρον... Ce texte brouille tout. L'orateur distingue nettement le bateau dans lequel se fit le voyage, v nλiopsy, de celui où l'on se réfugia pendant la tempête, eisö petébŋpev (§ 22), et il dit positivement que les traces de sang avaient été découvertes dans cet autre bateau, celui où l'on s'était mis à boire, év μly Emive mλsi... sv TOUTE pxoiv Eúpely oqueix (§ 28). Il me paraît de toute évidence qu'il faut écrire au § 29 : ἐν ᾧ ἐγὼ καὶ Ἡρῴδης ἐπίνομεν. La legon ἐπλέο v ne peut être qu'une distraction de copiste.

Dans le même discours, § 5, je voudrais écarter deux gloses. O γὰρ δίκαιον οὔτ ̓ ἔργῳ ἁμαρτόντα διὰ ῥήματα σωθῆναι, οὔτ ̓ ἔργῳ ὀρθῶς πράξαντα διὰ ῥήματα ἀπολέσθαι· τὸ μὲν γὰρ [ῥῆμα] τῆς γλώσσης ἁμάρτημά ἐστι, τὸ δὲ [ἔργον] της γνώμης. Conformément à l'usage, τὸ μέν se rapporte au membre de phrase énoncé en dernier lieu; ò dé, à celui qui est plus éloigné. Les mots que j'ai mis entre crochets obscurcissent le sens 1.

Au § 49 je voudrais, au contraire, insérer un mot. O dè èλúθερος οὐδέπω (καὶ) νῦν εἴρηκε περὶ ἐμοῦ φλαῦρον οὐδέν. On dit οὐδὲ νῦν, mais οὐδέπω καὶ νῦν. Cf. Démosthène, XXX, 33 : Οὐδέπω καὶ τήμερον. H. W.

1. Je reçois, en corrigeant les épreuves, l'édition critique d'Antiphon, par V. Jernstedt, St. Pétersbourg, 1880. Le savant éditeur écarte, avec Hug, le mot áμáptnμa.

AD AESCHYLUM ET SOPHOCLEM

1. AESCHYLUS, Agam., 255 sq. :

πέλοιτο δ ̓ οὖν τἀπὶ τούτοισιν εὔπραξις, ὡς
θέλει τόδ ̓ ἄγχιCTc» Απίας

γαίας μονόφρουρον ἔρχος.

Proximam esse Clytaemnestram, quae his verbis significatur, tragico more chorus declaravit pronomine demonstrativo, cui quam insulse addatur ἄγχιστον non est quod moneam. Corrigendum suspicor:

[ocr errors][merged small]

Huc fortasse Hesychiana glossa referenda ἀγχίθεον· ἰσόθεον, θεῖον. Nihil hoc ad mores Clytaemnestrae, quos iam satis chorus perspexerat, sed ad regiam dignitatem pertinere vix opus est dicere. Habebatur tunc et nunc habetur a quibusdam ἰσέθεος τυραννίς (cf. Eur. Troad. 1169 : τῆς ἰσοθέου τυραννίδος). Aeschylum formasse superlativum ἄρχιστον, quod Dindorfus reponendum iudicat, praeter ipsum vix quisquam credet. Tribrachys, ut saepe, respondens trochaeo in versu antithetico 245

φίλου τριτόσπονδον εὔποτμον

meam quidem aurem non offendit.

2. Agam., 351-4 :

Chorus : γύναι, κατ ̓ ἄνδρα σώφρον ̓ εὐφρόνως λέγεις.

ἐγὼ δ ̓ ἀκούσας πιστά σου τεκμήρια

θεοὺς προσειπεῖν εὖ παρασκευάζομαι.

χάρις γὰρ οὐκ ἄτιμος εἴργασται πόνων.

In praegressa Clytaemnestrae oratione, qua depingit tristem Troianorum laetamque Graecorum post captam urbem sortem, qualem informat, frustra quaerimus πιστά τεκμήρια eius rei cui chorus, ubi primum ex illa audivit, fidem habere non poterat (v. 268). Ut vero ne umbra quidem argumentationis in illa oratione est, ita reperiuntur πιστά quae dicunt τεκμήρια in Clytaemnestrae cum choro colloquio, vs. 269-316. Quapropter aliquanto melius, nisi fallor, quattuor isti versus legentur statim post vs. 316, deleto vs. 317 θεοῖς μὲν αὖθις, ὦ γύναι, προσεύξομαι (qui versibus illis in alienum locum delatis facile addi potuit) cum sequentibus coniuncti in hunc modum:

« PreviousContinue »