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pagnant d'un gonflement inflammatoire considérable, qui rend l'examen difficile, elles peuvent quelquefois en imposer au premier abord, être prises pour des luxations et devenir le point de départ d'arthrites auxquelles conviendrait bien le traitement qu'Hérodote designe par le mot de ήπια.

Les expressions d'Hérodote rendent la question bien douteuse; car, si d'un côté il se sert pour désigner la lésion du mot cepat d'où vient péppz, qui, dans Hippocrate et dans Galien, signifie ENTORSE et non pas luxation (zñoμx), d'un autre côté, il ajoute que l'astragale était sorti de l'articulation. Or, si l'astragale avait quitté l'articulation et que le déplacement subsistât d'une façon permanente, il y avait luxation et il fallait réduire cette luxation par la force; si au contraire le déplacement n'avait été que momentané et que les surfaces articulaires eussent repris immédiatement et d'elles-mêmes leurs rapports respectifs, il y avait simplement une entorse plus ou moins compliquée; mais alors, pourquoi Hérodote aurait-il dit que l'astragale était sorti de l'articulation? Comment l'aurait-il su?

3o) Si l'on conserve le texte intact, il faut bien admettre qu'il y eût une luxation, puisque Démocède la réduisit; et, dans ce cas, son habileté aurait consisté à employer des moyens de réduction supérieurs à ceux des Égyptiens, puisqu'il obtint le succès, et ce seraient ces moyens que désigneraient, à notre avis, les mots Ἑλληνικοῖσι ἰήμασι.

Dans cette explication, le mot ispá indiquerait la force habilement employée pour produire d'abord l'extension, puis la réduction, et deviendrait avec une sorte de développement explicatif de σήματα Ελληνικά; ἰσχυρά s'opposerait alors aux expressions στρεβλοῦντες καὶ βιώμενοι τὸν πόδα, qui semblent désigner une violence aveugle et manquant d'une direction intelligente. Hippocrate se sert à chaque instant de l'adjectif isopés pour caractériser d'une façon générale l'énergie d'un traitement, qu'il soit interne ou qu'il soit externe, ou même d'un simple médicament: ainsi, parlant des remèdes à opposer aux maladies de matrice (Femmes stériles, § 217, sub fin.), l'auteur hippocratique s'exprime en ces termes : << Il faut commencer par des moyens énergiques pour finir par des moyens plus doux, ἀρχόμενος ἐξ ἰσχυρῶν — τελευτῶν δὲ ἐς μαλθα zót:pz, » De même, dans le Traité des fractures (§ 13), Hippocrate se sert du mot isopés pour qualifier la nature de l'extension propre à amener la réduction : « isyupotépys dè deïtxi tîs natatásiog. » Cette expression se trouve précisément dans le paragraphe où l'auteur décrit la marche à suivre dans les cas où s'est produite une luxation des os de la jambe sur ceux du pied, c'est-à-dire dans

le cas d'une luxation tibio-tarsienne comme celle qui nous occupe. Le mot se trouve naturellement amené par opposition à ioppá, pour marquer la seconde partie du traitement. Hippocrate ne manque pas en effet d'indiquer qu'après la réduction d'une luxation par la force, il faut employer des moyens de douceur propres à combattre l'inflammation. Il insiste même à plusieurs reprises sur ce précepte (Traité des fractures, § 13 De l'officine du médecin, § 23 - Traité des articulations, §§ 80-81). Cette seconde partie du traitement, qui commence immédiatement après la réduction de la luxation, comprend la compression graduelle au moyen de bandes roulées, les affusions abondantes, la position et l'immobilité du membre, enfin un régime atténuant. C'est à cet ensemble de moyens que s'appliquerait l'expression. Ce court exposé suffit à montrer clairement que le traitement appliqué par Démocède, au dire d'Hérodote, est celui qu'indiquent les divers traités hippocratiques, qui, sur ce point, n'ont probablement fait que décrire et résumer la pratique des médecins grecs.

C'est donc cette dernière explication que nous serions disposé à admettre; d'abord elle permet de conserver et de comprendre le texte tel qu'il est; en outre, elle semble plus conforme à la pensée de l'auteur, car Hérodote n'a pas dit que les médecins égyptiens se fussent trompés, mais seulement qu'ils avaient été impuissants, malgré leur violence, et que, par conséquent, leur intervention. avait pu augmenter le mal. Nous interpréterions donc ce passage. de la façon suivante :

« DÉMOCÈDE MIT EN USAGE LES PROCÉDÉS DES MÉDECINS GRECS, ET, APRÈS AVOIR EMPLOYÉ LA FORCE (pour réduire la luxation), IL INSTITUA UN TRAITEMENT ADOUCISSANT (dirigé contre l'inflammation). »

Afin d'être complet, il nous reste à parler d'une explication qui pourrait encore être proposée, et qui consisterait à admettre que les médecins égyptiens avaient réduit la luxation, et que Démocède n'eut qu'à guérir par les z l'inflammation secondaire résultant de l'emploi maladroit des appź. Sur ce point il nous suffira de dire que, si la luxation avait été réduite d'une façon quelconque par les Égyptiens, la douleur aurait immédiatement cédé et que l'on n'aurait pas eu besoin de recourir avec tant d'empressement à l'habileté du médecin Crotoniate. D'ailleurs l'intervention de ce dernier ne fut si vite couronnée de succès que parce qu'il sut remettre rapidement les organes en place. « Il rendit au roi le sommeil et le guérit en peu de temps, lui qui n'espérait plus pouvoir se servir de son pied. »

Enfin l'on pourrait encore supposer que les médecins égyptiens

avaient placé sur le pied du roi un appareil mal fait, un bandage trop serré, que le Grec n'aurait eu qu'à enlever pour faire disparaître la douleur: à cette hypothèse nous nous contenterons de répondre que rien dans le texte ne peut autoriser cette manière de voir.

Le passage d'Hérodote que nous venons d'étudier nous a suggéré une remarque qui peut intéresser la lexicographie grecque aussi bien que l'histoire de la médecine. La lecture de ce texte pourrait faire croire que les anciens étaient plus avancés en anatomie qu'ils ne l'étaient réellement. Hérodote, simple historien, semble parler de l'astragale comme ferait un chirurgien de nos jours. Il y a, comme on va le voir, bien des réserves à faire sur ce point. En effet, suivant la remarque qu'a déjà faite M. Broca (Mémoires de la Société de Chirurgie de Paris, 1852, t. III, p. 574), les anciens ont sans cesse confondu les deux os de la rangée postérieure du tarse (astragale et calcaneum); ils réduisaient le nombre total des os du tarse de sept à six. La lexicographie doit tenir compte de cette confusion, si elle veut donner aux mots leur juste valeur. Voici un exemple de ce que nous avançons Hippocrate parle en ces termes d'un jeune homme qui, ayant fait une course trop longue sur un chemin raboteux, eut une gangrène du talon : << Tout l'endroit noircit jusqu'à l'os nommé astragale et au creux de la plante du pied. » (Épidémies, liv. V, § 48)'. Dans ce passage il est évidemment question d'un os de la plante du pied, qui par conséquent ne saurait être celui que nous appelons aujourd'hui astragale; c'est du calcaneum qu'il est question dans cette observation. Aussi, bien que les commentateurs et les traducteurs d'Hippocrate, depuis Galien jusqu'à M. Littré, aient cru devoir intituler certains paragraphes du Traité des fractures: Luxation de l'astragale (§ 10) Luxation du Calcaneum (§ 11), nous ne craignons pas d'affirmer avec M. Broca (Mémoire cité plus haut) que, dans ces passages, il est simplement question de certains degrés d'entorse du pied et de contusion du talon, et non pas de luxations de l'astragale ou du calcanéum. Aucun de ces deux os n'y est nommé ni décrit de façon à nous montrer que l'auteur en avait une connaissance réelle et distincte. L'astragale n'est pas nommé davantage dans le § 13 du même traité, où il est question des luxations des os de la jambe sur le pied. Les auteurs hippocratiques donnaient d'une façon générale le nom de Tépva à la rangée postérieure du tarse, confondant ainsi dans une appellation commune

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1. Le V livre des Épidémies paraît avoir été écrit à une époque postérieure à celle d'Hippocrate; on l'attribue généralement à son petit-fils.

REVUE DE PHILOLOGIE : Janvier 1880.

IV. - 3

les deux os dont l'un forme le talon (calcanéum) et dont l'autre joint le pied à la jambe (astragale). Le mot d'astragale, qui, à notre connaissance, ne se trouve qu'une fois dans la collection hippocratique, paraît avoir été le nom vulgaire de toute cette région chez l'homme, l'astragale de certains animaux étant alors généralement employé dans un jeu très répandu (άotpάyaño, une espèce de jeu de dés).

Nous ne serions pas étonnés de voir les anciens chirurgiens se tromper d'une façon qui nous semble bien grossière, si nous remarquons que les philosophes, qui s'occupaient alors beaucoup plus d'anatomie que les médecins, avaient dû certainement contribuer à répandre cette erreur. Aristote lui-même, qui a recueilli leur enseignement, affirme, dans son Histoire des animaux (II, 2, 10, éd. Didot), que l'homme n'a pas d'astragale. Cette erreur provient de ce que le philosophe de Stagire, comme ses devanciers, avait surtout étudié l'anatomie sur des squelettes d'animaux; or l'on sait que, chez les quadrupèdes, les os de la seconde rangée du tarse ont un développement et, par suite, une position qui diffèrent beaucoup de ce que l'on trouve chez l'homme.

D'après ce qui précède, nous serions donc amené à conclure qu'Hérodote paraît s'être mieux rendu compte de la place qu'occupe l'astragale dans la constitution du pied, qu'Hippocrate et qu'Aristote. Est-ce là un effet du hasard, ou faut-il croire qu'Hérodote s'est servi du mot d'astragale, parce que c'était, comme nous l'avons dit plus haut, le terme vulgaire servant à désigner, chez l'homme, ce qu'Hippocrate et Aristote désignent sous le nom de Téρva? Cette dernière explication nous paraît la plus vraisemblable. Docteur J. GEOFFROY.

NOTES DE GRAMMAIRE.

1. Les parfaits -iere. Une inexactitude, qui se trouve dans de très bonnes grammaires latines (Madvig, 3° éd., § 114 a, 4° éd., § 106 a; Schultz, 7e éd., 107, 1; Vaniček, 176, Anm. 2; Guardia et Wierzeyski, p. 197), c'est de prétendre qu'à la troisième pers. du plur. des parfaits en -ivi la forme -ierunt ne pouvait pas être remplacée par -iere. Outre qu'on ne voit pas bien la raison d'être logique d'une pareille règle, il y a des exemples certains de la forme -iere, exemples peu nombreux, il est vrai : sciere T.Live II, 11, 6, lacessiere X, 27, 6 (dans les mss. MP et aussi, comme je l'ai vérifié, dans le Vaticanus 3329), nequiere Horace, Sat. II, 5, 78, enfin, très souvent iere ou petiere, v. Neue, Formenlehre, II, p. 518, et cf. pour iere T.-Live I, 12, 1. 28, 6. 37, 2. II, 20, 13. 40, 12. IV, 7, 3. 7. VIII, 10, 3. XXV, 38, 21, etc., pour petiere III, 1, 8. 4, 2. V, 38, 10. IX, 13, 4, etc. T.-Live, XXV, 38, 23 audiere est une correction (P donne audire), de même definiere Tacite, Ann. VI, 28 (le ms. porte effinere).

O. RIEMANN.

SUPPLÉMENT RECTIFICATIF A LA COLLATION D'UN MANUSCRIT.

Parmi les manuscrits que M. Madvig a mis à contribution, dans sa belle édition du traité De Finibus de Cicéron, se trouve le manuscrit 6331 de la Bibliothèque nationale de Paris. Malheureusement le savant philologue n'a eu à sa disposition qu'une collation fort défectueuse de ce manuscrit. C'est ce qu'a démontré M. Thurot', en relevant dans le Ve livre seulement, plus de cent leçons omises ou mal lues. En outre, il n'avait été tenu aucun compte, dans la collation, de nombreuses corrections que le texte a subies, ni des variantes écrites à la marge, presque aussi anciennes que le texte même, et dont beaucoup ont de l'importance; elles fournissent même une leçon, nepas, qui ne se trouve dans aucun autre manuscrit du De Finibus (V, § 42), et qui n'a été conservée que par Nonius Marcellus (p. 145, v. Nepam).

Sur les bienveillantes indications de M. Thurot, j'ai entrepris de vérifier le texte du manuscrit pour les quatre premiers livres, et de relever les passages qui ont été omis ou inexactement reproduits. Ces derniers sont plus nombreux que ne paraît le croire M. Madvig, quand il dit (Praef. p. xx1) : « Collatus est (codex Parisiensis)..... » non summa ut opinor diligentia, ita tamen, ut omittendo, non » errando peccaretur ». Trop souvent les notes relevées sont absolument contraires au texte du manuscrit, même quand celui-ci a la bonne leçon. Je citerai comme exemple la manière dont sont lues quelques-unes des abréviations les plus ordinaires: III, § 73, p. 470, 9, et IV, § 31, p. 527, 5, notre manuscrit a la bonne leçon etiam et non et; de même II, § 34, p. 203, 6, et iam] le copiste n'a pas omis iam, mais il a écrit etiam. IV, § 41, p. 541, 1, et IV, § 63, p. 576, 11, le ms. de Paris a, avec les bons mss., hoc, et non pas haec. III, § 6, p. 348, 7, il a percepta et non praecepta; III, § 7, p. 350, 3, il n'a pas ope, mais bien opere (pour operae). II, § 117, p. 334, 12, et III, 45 p. 419, 3, il n'a pas omis est () après necesse.

Parmi les mauvaises leçons qui sont communes à quelques mss.: I, 47, p. 95, 10 eventurum] Pa proventurum, et non perventurum; II, 45, p. 221, 4, P n'a pas la lacune signalée entre

1. Revue critique d'histoire et de littérature, 8 janvier 1870, p. 17 du 1" se

mestre.

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