Page images
PDF
EPUB

1. Un fragment de Sapho

chez Choricius.

Le manuscrit N-101 de la Biblioteca nacional de Madrid', contient un épithalame inédit, adressé par Choricius à son élève Zacharie, dans lequel on lit au fo 48 les lignes suivantes :

Ἐγὼ οὖν τὴν νύμφην, ἵνα σοι πάλιν χαρίσωμαι, σαπφικῇ μελῳδίᾳ κοσμήσω· Σοὶ χάριον μὲν εἶδος καὶ ὄμματα μελιχρά, ἔρως δὲ καλῷ περικέ χυται προσώπῳ, καὶ· Σὲ τετίμηκεν ἐξόχως ἡ ̓Αφροδίτη. Ἀλλ ̓ ἐπεὶ οὔπω τῆς Σαπφούς ἠκροάσω κιθάρας, πάλιν αὖ τοῦ ποιητοῦ δεηθῶμεν φαιδοῦναι τὴν κόρην Δέμας τε ἠδὲ φυήν, ἀτὰρ φρένας, ἠδέ τι ἔργα δεινῶς ἀθανάτησι θεαῖς ἄγχιστα ἐῴκει (sic). Ενταῦθά μοι δοκεῖ χρῆναι καταλῦσαι τὸν λόγον κτλ.

Du texte ci-dessus, il faut rapprocher le fragment 100 [alias 64] des Επιθαλάμια de Sapho (Anthologia lyrica de Bergk, ed. min.). Il est tiré d'Héphestion, et présente un rapport évident avec les fragments de σαπτική μελωδία rappelés par Choricius :

Μελλίχροος δ ̓ ἐπ ̓ ἱμέρτῳ κέχυται προσώπῳ.

M. H. Weil a essayé, non sans succès, de mettre ces bribes en valeur. Nous communiquons ici au lecteur la lettre qu'il a bien voulu nous écrire à ce sujet :

« Je reviens sur ma première impression, et je commence à croire qu'on peut tirer quelque chose des réminiscences de Sapho dont votre Choricius a émaillé la prose de son Épithalame. Il est vrai qu'il ne cite pas textuellement, et que rien ne garantit que les trois membres de phrase qu'il tire de Sapho se soient suivis de la même façon chez le poète, ni même qu'ils soient empruntés à la même ode. La manière dont Choricius se sert dans le même passage de souvenirs homériques doit nous mettre en garde et semble nous interdire de chercher à reconstruire le texte.

«Cependant, dans le cas présent, nous avons un grand secours : c'est la citation textuelle d'Héphestion (XV, à la fin, fr. 100 Bergk):

Μελλίχροος δ' ἐπ ̓ ἱμέρτῳ κέχυται προσώπῳ.

La ressemblance entre μελλίχροos et μελιχρά, έρως est trop grande pour être fortuite: les deux leçons se rapportent à un texte unique.

1. Cf. sur ce manuscrit la Revue de Philologie, nouv. série, t. I", p. 55 et 212. 2. Cf. Iliade, I, 115; Odyssée, V, 212; VI, 152; VII, 210; etc.

REVUE DE PHILOLOGIE : Janvier 1880.

IV. - 6

Laquelle choisir? L'adjectif usλizpocs demanderait dans le vers suivant un substantif difficile à trouver et dont il n'y a pas trace dans Choricius. Ce dernier, tout en prenant de grandes libertés avec le texte, a dû en rendre assez exactement le sens général. Héphestion au contraire, qui ne voit que le mètre, sans se préoccuper du sens, a pu citer un vers composé des fragments de deux membres de phrase. S'il en est ainsi, les deux premières phrases rapprochées par Choricius se suivaient aussi dans Sapho; et, comme Héphestion nous donne le mètre du morceau, nous pouvons, je crois, hasarder cette restitution partielle :

Σοὶ χάριεν μὲν εἶδος, ὅππατα δ'.....

μέλλιχρ ̓, ἔρος δ' ἐπ' ἐμέρτῳ κέχυται προσώπῳ
τετίμαν ἔξοχά σ ̓ Αφροδίτα.

<< Les imitations de Catulle servent à confirmer ce texte. Avec ἔππατα μέλλιχρα (ου μέλλιχα) comparer mellitos oculos (Cat., XLVIII, 1); avec tetiμax' o ''Appoòíta, Pulcher es, neque te

Venus neglegit (LXI, 194). »

2. L'encre à base métallique dans l'antiquité.

La Griechische Palaeographie de Victor Gardthausen, sortie l'an dernier des presses de B. G. Teubner à Leipzig, est un trẻsor de renseignements de toute espèce, dont souvent, du reste, il sera prudent de ne faire usage qu'après contrôle. Suivant V. Gardthausen, à la page 78, bien que l'encre de noix de galle fût peut-être alors dans l'usage depuis un temps déjà assez considérable, le premier auteur qui aurait mentionné cette sorte d'encre serait Martien Capella, voy. III, 225 (p. 55, 1. 16, éd. Eyssenhardt), « gallarum gummeosque commixtio. » Nous ne savons pas au juste si une encre durable pourrait résulter d'une préparation dans laquelle il n'entrerait que de la noix de galle et de la gomme. Le fait est qu'il ne s'agit nullement d'encre dans le passage cité de Martien Capella, mais bien d'une bonne femme qui possédait des recettes d'une vertu remarquable, entre autres la suivante : « Arterias etiam pectusque cuiusdam medicaminis adhibitione purgabat, in quo et cera fago illita et gallarum gummeosque commixtio et Niloticae fruticis collemata notabantur. »

A la page suivante, Gardthausen revient indirectement sur la même question. « De grande importance. » dit-il, « est aussi un passage de Philon de Byzance (Veteres Mathematici, p. 102), que Graux (article ATRAMENTUM du Dictionnaire des Antiquités de

Daremberg et Saglio) a fait entrer le premier en ligne de compte : Γράφονται δὲ ἐπιστολαί εἰς καυσίαν καινὴν εἰς τὸν χρῶτα, κηκίδος θλασθείσης καὶ ὕδατι βραχείσης· ξηρανθέντα δὲ τὰ γράμματα ἄδηλα γίνεται, χαλκοῦ δὲ ἄνθους τριφθέντος, ὥσπερ ἐν ὕδατι τὸ μέλαν, καὶ ἐν τούτῳ σπόγγου βραχέντος, ὅταν ἀποσπογγισθῇ τούτῳ φανερὰ γίνεται. I suit de la qu'au moins pour les messages secrets, dès le premier siècle ap. J. C., on employait une sorte d'encre de noix de galle, dont les traces n'étaient rendues visibles qu'en les mouillant avec une solution métallique. » Ce qui nous paraît suivre de là, c'est que, dès le second siècle avant notre ère au plus près de nous (et non pas dès le premier siècle ap. J.-C. 1), le principe de la fabrication de notre encre moderne à infusion de noix de galle et à base métallique était connu et avait reçu des applications à l'écriture. Une légère différence à noter est que, dans la recette antique, comme pendant le moyen åge, le vitriol vert (sulfate de fer) qui entre dans la composition de notre encre était remplacé par la fleur de cuivre ou vitriol bleu (sulfate de cuivre).

Nous voilà loin de Martien Capella et du ve siècle ap. J.-C. Or ce texte de Philon n'est pas absolument isolé. L'auteur du traité publié par Miller sous le nom de Philosophumena d'Origène et considéré par Duncker comme la Réfutation des hérésies par S. Hippolyte, rapporte une supercherie de magicien qui repose sur l'emploi du même procédé que la missive invisible de Philon. Bien que le manuscrit unique qui nous a rendu cet ouvrage soit illisible par endroits et précisément, à plusieurs reprises, dans le début du morceau sur lequel on veut ici attirer l'attention, il n'est pas malaisé de comprendre comment les choses se passaient chez l'ingénieux magicien. Tout se résume en ceci : on adresse à un démon ou dieu une demande écrite sur papier de papyrus avec une encre invisible, et l'on retire d'un baquet plein d'eau la réponse, tracée aussi sur papyrus, mais en caractères bien noirs. Voici le détail des opérations (livre IV, chap. 28, p. 88 sqq., ed. Duncker): Γράψαι τὸν πυνθανόμενον τί ἂν πυθέσθαι τῶν δαιμόνων θέλῃ..... μόνον. Au lieu de suppléer αὐτὸν (avec Miller) ou ὕδατι (avec Roeper et Duncker), nous restituerions xxio: devant póvov 2: le consultant écrit donc, selon nous, sa demande avec une infusion, incolore, de noix de galle. Abrégeons le récit des simagrées

1. Sur l'époque où vécut Philon, voy. Revue de Philologie, t. III, p. 91-92. 2. Cruice supplée xaì ávaλétabat, et donne en note: « "roat addit Mill. post 9, at in codice octo litterae desunt quarum tertia est a et evanidi vocabuli ultimae litterae sunt aobat. Inde conjeci avaλéxoxt restituendum esse.» Le ms. est le no 464 du Supplément grec de la Bibliothèque nationale. Ce que Cruice y lit zoba pourrait tout aussi bien être lu &: pour notre part, nous ne sommes d'ailleurs parvenus à rien tirer d'utile du ms. en cet endroit.

qui suivent. L'écriture une fois séchée, un aide porte le papier dans une pièce intérieure où un compère révèle les caractères invisibles, en plongeant le papier dans une dissolution de vitriol bleu : Καὶ ἔνδον φιάλη ὕδατος πλήρης, ᾗ ἐμβαλών χάλκανθον καὶ τήξας τὸ φάρμα κον τὸ δῆθεν ἐξαλειφθὲν χαρτίον δι' αὐτοῦ καταρράνας τὰ φωλεύοντα καὶ κεκρυμμένα γράμματα πάλιν εἰς φῶς ἐλθεῖν ἀναγκάζει, δι' ὧν μανθάνει ἅπερ ὁ πυθόμενος ἔγραψε. Le compère sait donc maintenant ce que demande le consultant. Observons, avant d'aller plus loin, que l'auteur dit qu'on pourrait renverser l'ordre des deux parties de l'opération, c'est-à-dire faire écrire le consultant avec la dissolution de vitriol, et révéler dans le laboratoire par une fumigation de noix de galle : Καὶ διὰ τοῦ χαλκάνθου δέ τις εἰ γράψεις καὶ τῆς κηκίδος ὑποθυ μιάσεις λελειωμένης, φανερά γένοιτ' ἂν τὰ κεκρυμμένα γράμματα. C'est ce qui semble légitimer, dans le début du récit, la conjecture xqxïò: qu'on a proposée ci-dessus.

C'est affaire au dieu du laboratoire de composer sa réponse comme il l'entend. Quant au procédé de transmission, il ne varie point. La réponse est écrite to pappány, dit le texte entendez « à la noix de galle ». On montre au consultant le papier qui la porte : il est absolument blanc. On le plonge sous ses yeux dans un bassin rempli d'eau pure en apparence, mais qui tient en dissolution du sulfate de cuivre, lequel, par son action sur la noix de galle, fait apparaitre en noir les paroles divines. Εἶτα λεκάνην πληρώσας ὕδατος ὡς ἄγραφον τὸν χάρτην καθίησι συνεμβαλών χάλκανθον· οὕτως γὰρ ἀνατέλλει τὴν ἀπόκρισιν φέρων ὁ γραφείς χάρτης. Le consultant reçoit l'autographe surnaturel, et le tour est joué. Tout le mystère consiste donc dans la fabrication de cette même encre à base métallique que nous avons trouvée tout à l'heure chez Philon. L'opération, au lieu d'avoir lieu d'avance dans la bouteille, comme dans le cas ordinaire, se fait sur le papier même voilà tout. La scène, cette fois, se passe au plus tard au commencement du IIIe siècle de notre ère.

Le codex Claromontanus (n° 107 de l'ancien fonds grec de la Bibliothèque nationale), en partie palimpseste et récrit au vie siècle environ, a pu être traité avec succès par les réactifs chimiques, et c'est ainsi qu'ont réapparu de nos jours deux pages du Phaeton d'Euripide. La nature du réactif employé a décelé celle de cette vieille encre qui, ayant été grattée au vie siècle, remonte probablement au ve et peut-être beaucoup plus haut. Tous les autres palimpsestes, d'époques diverses, sur lesquels les réactifs ont été essayés, y ont toujours été sensibles, ce qui établit nettement que ces manuscrits, tous membranacei, ont été copiés à l'encre métallique. Enfin, les plus respectables parmi les manuscrits en parchemin qui ont été conservés jusqu'à ce temps, s'il nous faut en

[ocr errors]

juger et par ce que ceux qui les ont tenus rapportent de l'aspect de l'encre, et par ce que nous avons vu de nos propres yeux (par exemple) dans le codex Sarravianus (no 17 de l'ancien fonds grec de la Bibliothèque nationale), supposé du Ive siècle, sont tous également à l'encre de noix de galle et de cuivre (ou de fer). Étant donc donné que, d'une part, tous les manuscrits en parchemin, en remontant depuis nos jours jusqu'au Ive ou Ie siècle de notre ère, ce qui est la limite extrême où nous puissions atteindre, ne portent jamais d'autre encre noire, quant à ses principes essentiels, que celle, en somme, qu'on trouve aujourd'hui dans le commerce sous la marque de la Petite Vertu; et que, d'autre part, aux deux extrémités de la période qui s'étend au delà du me siècle de J. C. jusqu'au second avant notre ère, et de laquelle nous n'avons plus un seul parchemin contemporain, nous rencontrons, du moins, deux textes très clairs, établissant que la formule de cette même encre était alors connue et appliquée; si l'on remarque, en outre, que le parchemin fait son apparition dans le monde vers le milieu de ce même second siècle av. J. C., et qu'une encre sans mordant, comme celle de noir de fumée qui servait pour écrire sur le fragile papyrus, ne devait pas tenir sur cette nouvelle matière raide et glacée' on sera amené à supposer, non sans quelque fondement, ce nous semble, que, de tout temps, l'encre à base métallique a été la seule employée d'une façon constante pour écrire sur le parchemin 2.

1. Les rubriques et généralement tout ce qui a été tracé avec des encres de couleur, lesquelles n'ont rien de métallique et sont exactement comparables à l'encre de Chine et à l'encre des papyrus d'Égypte, ont le plus souffert par l'effet du temps dans les anciens manuscrits.

2. L'illustre Humphrey Davy partageait cette manière de voir. Voici ce qu'il dit dans un article On the papyri found in the ruins of Herculaneum, inséré aux Philosoph. Transactions de 1821, part. II, p. 205 : « And it is very probable, that the adoption of this ink (the ink of galls and iron), and the use of parchment, took place at the same time. For the ink composed of charcoal and solution of glue can scarcely be made to adhere to skin; whereas the free acid of the chemical ink partly dissolves the gelatine of the MSS., and the whole substance adheres as a mordant; and in some old parchments, the ink of which must have contained much free acid, the letters have, as it were, eaten through the skin, the effect being allways most violent on the side of the parchment containing no animal oil (voy., p. ex., le Virgile et le Térence du Vatican: cf. Winckelmann, Werke, t. II, p. 126). « The earliest Mss. probably in existence on parchment, are those codices rescripti, discovered by monsign. Mai, in the libraries of Milan and Rome. Through his politeness I have examined these MSS., particularly that containing some of the books of Cicero de Republica, and which he refers to the second or third century. From the form of the columns, it is very probable that they were copied from papyrus. The vegetable matter which rendered the oxid of iron black is entirely destroyed, but the peroxid of iron remains; and where it is not covered by the modern Mss., the form of the letters is sufficiently distinct. Monsign. Mai uses solution of galls for reviving the blackness. »

« PreviousContinue »