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» Macédoine, peu s'en fallut même que je n'al»lasse jusqu'à Athènes, et cependant personne >> ne vint me combattre. L'ignorance et la sottise >> des Grecs ne leur permettent pas ordinaire»ment, comme je l'ai oui dire, de consulter la » prudence dans les guerres qu'ils se font. Car » lorsqu'ils se la sont déclarée, ils cherchent, » pour se battre, la plaine la plus belle et la plus >> unie. Ainsi, les vainqueurs ne se retirent qu'avec » de grandes pertes: comme les vaincus, sont >> entièrement détruits, je n'en puis absolument >> rien dire.

» Puisqu'ils parlent tous la même langue, ne >> devroient-ils pas s'envoyer des Hérauts et des » Ambassadeurs pour terminer leurs différends? >> ne devroient-ils pas tenter toutes les voies de >> pacification, plutôt que d'en venir aux mains? » ou s'il étoit absolument nécessaire de se battre, >> ne devroient-ils pas chercher les uns et les >> autres un terrein fortifié par la nature, où il » fût difficile d'être vaincu, et tenter en cet en>> droit le sort des armes? Par une suite de ce

>> mauvais usage, les Grecs n'osèrent pas m'offrir » la bataille, lorsque j'allai jusqu'en Macédoine. >> Y a-t-il donc quelqu'un parmi eux qui s'op» pose à vous, et vous présente le combat, à vous, >> Seigneur, qui conduisez toutes les forces de >> terre et de mer de l'Asie? Je ne pense pas que >> les Grecs portent l'audace jusques-là. Si cepen>> dant je me trompois, si leur folie les poussoit

» à en venir aux mains avec nous, qu'ils appren» nent alors que de tous les hommes nous sommes » les plus braves et les plus habiles dans l'art de » la guerre. Il faut donc tenter toutes les voies » possibles; rien ne s'exécute de soi-même, et ce >> n'est ordinairement qu'à force de tentatives » qu'on réussit ». Ce fut ainsi que Mardonius adoucit ce que le discours de Xerxès pouvoit avoir de trop dur; après quoi il cessa de parler.

X. Comme les Perses gardoient tous le silence, et que pas un n'osoit proposer un avis contraire, Artabane, fils d'Hystaspes, oncle paternel de Xerxès, s'appuyant sur cette qualité, ouvrit le sien en ces termes : « Seigneur, lorsque dans un >> conseil les sentimens ne sont pas partagés, on » ne peut choisir le meilleur ; il faut s'en tenir à » celui qu'on a proposé. Mais quand ils le sont, >> on discerne le plus avantageux, de même qu'on >> ne distingue point l'or pur par lui-même, mais >> en le (23) comparant avec d'autre or. Je con»seillai (a) au Roi Darius votre père et mon >> frère, de ne point faire la guerre aux Scythes, >> qui n'habitent point des villes. Flatté de l'espé>>rance de subjuguer ces peuples Nomades, il ne » suivit pas mes conseils ; il revint de son expé>>dition, après avoir perdu ses meilleures trou>> pes. Et vous, Seigneur, vous vous disposez à >> marcher contre des hommes plus braves que

>> les Scythes, et qui passent pour être très>> habiles et sur terre et sur mer. Il est donc juste >> que je vous avertisse des dangers que vous aurez >> à essuyer.

>> Vous dites qu'après avoir jeté un pont sur >> l'Hellespont, vous traverserez l'Europe avec » votre armée pour vous rendre en Grèce. Mais >> il peut arriver que nous soyons battus sur terre » ou sur mer, ou même sur l'un et l'autre élé>> ment; car ces peuples ont la réputation d'être >> braves, et l'on peut conjecturer que cette répu>>tation n'est pas mal fondée, puisque les Athé>> niens seuls ont défait cette puissante armée, >> qui étoit entrée dans l'Attique sous la conduite » de Datis et d'Artaphernes. Mais supposons >> qu'ils ne réussissent pas à nous battre sur terre » et sur mer (24) à-la-fois; s'ils nous attaquent >> seulement sur ce dernier élément, et qu'après >> nous avoir battus, ils aillent rompre le pont » que nous aurons construit sur l'Hellespont, >> nous serons alors, Seigneur, dans un grand >> danger.

» Je ne fonde point cette conjecture sur ma >> prudence, mais sur le malheur qui pensa nous >> arriver, lorsque le Roi votre père ayant fait >> jeter un pont sur le Bosphore de Thrace et un >> autre sur l'Ister, passa dans la Scythie. Alors >>les Scythes firent mille instances aux Ioniens, » à qui l'on avoit confié la garde du pont de >> l'Ister, pour les engager à le rompre. Si dans

>> ce temps-là Histiée, Tyran de Milet, ne se fût >> point opposé à l'avis des autres Tyrans, c'en >> étoit fait des Perses et de leur Empire. On ne » peut même entendre, sans frémir, que la for>> tune et le salut du Roi aient dépendu d'un >> seul homme.

>> Ne vous exposez (25) donc point, je vous >> prie, Seigneur, à de si grands périls, puisqu'il » n'y a point de nécessité. Suivez plutôt mes con>>seils, congédiez maintenant cette assemblée, >> faites de nouvelles réflexions, et quand vous le » jugerez à propos, donnez les ordres qui vous >> paroîtront les plus utiles. Je trouve en effet » qu'il y a un grand avantage à ne se déterminer » qu'après une mûre délibération. Car quand » même l'événement ne répondroit pas à notre >> attente, on a du moins la satisfaction qu'on » s'est décidé avec sagesse, et que c'est la fortune >> qui a triomphé de la prudence. Mais lorsqu'on >> a suivi des conseils peu sages, si la fortune les >> seconde, nous ne devons (a) nos succès qu'au » hasard, et la honte, suite de ces mauvais con>>seils, ne nous en reste pas moins.

»Ne voyez-vous pas que le Dieu lance sa fou» dre sur les plus grands animaux, et qu'il les » fait (26) disparoître, tandis que les petits (27) >> ne lui causent pas même la plus légère inquié>>tude? ne voyez-vous pas qu'elle tombe tou

>> jours sur les plus grands édifices et sur les (28) >> arbres les plus élevés? car Dieu se plaît à abais» ser (a) tout ce qui s'élève trop haut. Ainsi une >> grande armée est souvent taillée en pièces par » une petite. Dieu, dans sa jalousie, lui envoie » des terreurs, ou la frappe (29) d'aveuglement, >>et (30) conséquemment elle périt d'une ma>> nière indigne de sa première fortune. Car il ne >> permet pas qu'un autre que lui s'élève et se >> glorifie. La précipitation produit des fautes qui >> occasionnent des disgraces éclatantes. Ce qu'on >> fait au contraire lentement, procure de grands » avantages. Si on ne les apperçoit pas sur-le>> champ, on les reconnoît du moins avec le >> temps.

>> Voilà, Seigneur, les conseils que j'ai à vous >> donner. Et vous, Mardonius, fils de Gobryas, >> cessez de tenir sur les Grecs de vains propos; >> ils ne méritent pas qu'on en parle avec mépris. >> C'est en les calomniant que vous excitez le >> Roi (31) à marcher en personne contre ces >> peuples; c'est du moins à quoi me paroissent > tendre toutes vos vues, tout votre zèle. Au nom >> des Dieux, ne vous permettez plus la calomnie; >> c'est le plus odieux des vices. C'est une injus>>tice de deux personnes contre une troisième. >> Le calomniateur viole toutes les règles de >> l'équité, en ce qu'il accuse un absent. L'autre

(a) Dans le grec : A mutiler.

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